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De la baie James à Montréal, la tourbière des Floralies

26 mars 2018
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La transplantation d’un morceau d’écosystème nordique au sud du Québec est l’un des événements des Floralies de Montréal. En 1980, la végétation de la tourbière a séduit des milliers de visiteurs.

Tourbière Floralies

La tourbière des Floralies avec des visiteurs qui observent ou circulent sur le sentier
Archives du Jardin botanique de Montréal
1978. Montréal vient d’obtenir la tenue d’un événement majeur auparavant réservé à des villes européennes : les Floralies internationales. Pour cette première en Amérique, Pierre Bourque, alors horticulteur en chef au Jardin botanique, devient conseiller technique de l’événement. C’est lui qui a l’idée folle de transporter une tourbière de la baie James jusqu’à Montréal, pour faire connaître aux visiteurs des Floralies la végétation typique de nos régions nordiques.

Depuis quelques années, Pierre Bourque agit comme consultant en écologie végétale auprès de la Société d’énergie de la Baie James (SEBJ), à qui il souhaite vendre son projet. Après avoir travaillé sur Expo 67, cet ingénieur horticole formé en Belgique ne craint pas les événements d’envergure, et il a des idées à la hauteur de ces grands projets. Les gens de la SEBJ ont quand même cru à une blague lorsqu’il a parlé de déplacer une tourbière vers Montréal…

Convaincant, Pierre Bourque sait faire bouger les choses. La transplantation s’organise : 1300 blocs de tourbe gelée sont prélevés et numérotés dans une tourbière du lac Hélène, près de la centrale hydroélectrique LG2. Le découpage s’effectue avec une scie circulaire montée sur des skis. Chaque bloc mesure environ un mètre cube et pèse entre 360 et 545 kg. Il faut 50 voyages de 36 heures en camion pour apporter les blocs sur le site des Floralies, 1500 km plus au sud, où ils sont assemblés comme un casse-tête. Auparavant, le terrain sélectionné, près du pavillon du Canada, a été soigneusement préparé par les experts du Jardin botanique avec de la toile géotextile, du sable et de la mousse de tourbe.

Un écosystème venu d’ailleurs

Tourbière Floralies

Prélèvement des blocs de tourbe dans la tourbière du lac Hélène à la baie James à l’hiver 1979.
Archives du Jardin botanique de Montréal
La tourbière, d’une superficie d’une demi-acre, est créée entre le 15 mars et le 15 avril 1979. Tout doit être en place un an avant l’ouverture, car il faut laisser le temps aux milliers de végétaux de se remettre du choc de la transplantation. Le dégel des blocs se passe bien et les travailleurs ont droit à une floraison un peu timide. Durant les premiers mois, la tourbière a besoin d’environ 60 000 litres d’eau par semaine et d’un monitorage constant. Le pH du sol doit être maintenu à 4,2 pour imiter l’acidité naturelle du milieu d’origine.

Grâce aux efforts de nombreux experts, la tourbière devient l’un des attraits majeurs des Floralies de 1980. Les visiteurs y découvrent, dans un écosystème entretenu méticuleusement, des plantes insectivores, comme la sarracénie et le droséra, et d’autres espèces caractéristiques, comme le cassandre, le thé du labrador, le mélèze et l’épinette noire.

Après les Floralies, la tourbière perd son statut privilégié et ne bénéficie plus de soins constants. Cet écosystème relocalisé dans un environnement et un climat qui ne sont pas les siens va donc évoluer pour s’adapter à ses nouvelles conditions de vie. Des chercheurs se sont intéressés aux transformations de la flore de ce milieu et y ont noté des changements importants. Entre 1979 et 2014, la biodiversité globale de cette flore a diminué de 48 %, et seules 5 des 56 espèces végétales répertoriées au début du projet étaient encore présentes 35 ans plus tard. L’écosystème a perdu ses caractéristiques de tourbière, puisqu’il est envahi par des espèces venues d’ailleurs ou plus typiques du sud du Québec. Et l’adaptation au climat montréalais se poursuit…

Références bibliographiques

CYR, André, Gilles AMADO et Laurent LAPIERRE. Pierre Bourque. Le jardinier et l’ingénieur, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1995, 198 p.

LES FLORALIES INTERNATIONALES DE MONTRÉAL. A world first. James Bay peat-bog transplanted to Ile Notre-Dame for Les Floralies internationales de Montréal, [En ligne], avril 1979.
http://www.worldsfairphotos.com/expo67/les-floralies-1980/james-bay.pdf

LES FLORALIES INTERNATIONALES DE MONTRÉAL. A rendez-vous of world horticulture, [En ligne].
http://www.worldsfairphotos.com/expo67/les-floralies-1980/rendezvous.pdf

PELLERIN, Stéphanie, Vincent ARRICASTRES, Lauriane LONG-RAYMOND et Martin LAVOIE. « La tourbière relocalisée de l’île Notre-Dame : un exemple de mesure de compensation en avance sur son époque », [En ligne], Le Naturaliste canadien, volume 139, no 2, été 2015, p. 4–13.
http://www.erudit.org/revue/natcan/2015/v139/n2/1030816ar.html?vue=resum...

TABLE DE CONCERTATION DU CRE-MONTRÉAL SUR LE PARC JEAN-DRAPEAU. CONSEIL RÉGIONAL DE L’ENVIRONNEMENT DE MONTRÉAL. Les espaces verts et bleus du parc Jean-Drapeau, un patrimoine montréalais à protéger, [En ligne].
http://www.cremtl.qc.ca/sites/default/files/upload/documents/publication...