L’histoire de cette pétillante cabaretière ouvre une fenêtre sur la vie montréalaise à la fin du XVIIe siècle.
Montréal 1685
Anne Lamarque naît en 1649 à Sainte-Colombe, près de Bordeaux. En 1666, elle est en Nouvelle-France et elle épouse un militaire, Charles Testard, sieur de Folleville. Le couple s’installe à Montréal vers 1672. On concède à Testard un terrain au sud de la rue Saint-Paul et à l’est de la rue Saint-Gabriel. La ville est à l’époque de taille modeste : on y compte moins de mille habitants. Cependant, Montréal, située à la confluence du fleuve Saint-Laurent et de rivières menant vers l’intérieur du continent, est parfaitement positionnée pour devenir le centre névralgique du commerce des fourrures. Ainsi, la ville est visitée annuellement par bon nombre de marchands et de voyageurs. Beaucoup plus d’hommes que de femmes habitent la Nouvelle-France du XVIIe siècle. Les établissements comme les auberges et les cabarets deviennent donc des lieux de divertissement prisés par ces populations mobiles qui ne restent parfois que quelques jours en ville avant de repartir en expédition.
Des boissons enivrantes très contrôlées
Cabaret - Anne Lamarque dite La Folleville
À en juger par les nombreux déboires judiciaires de la Folleville, les diverses mesures mises sur pied par le clergé et l’administration coloniale sont bien peu respectées. Le cabaret devient la cible des foudres du curé Jean Frémont, un sulpicien de Montréal qui mène une véritable guerre contre la débauche dans les années 1670 et 1680. Il n’est pas seul : de nombreuses plaintes vont être formulées contre le couple Folleville et leur établissement. De violentes bagarres y éclatent, des hommes y trompent leur épouse, des femmes s’y prostituent; bref, la moralité publique est, aux yeux de plusieurs, gravement compromise. Le 17 juin 1682, le curé Frémont en appelle aux autorités et demande au sieur Gervais, officier de justice, de sévir contre Anne Lamarque, alors âgée de 33 ans. C’est le début d’un long procès pendant lequel de nombreux voisins des Folleville vont venir témoigner, apportant de fascinants détails à toute l’histoire.
Un procès aux nombreux rebondissements
Enseigne de cabaret
Selon plusieurs témoins, la Folleville possèderait un livre magique, une sorte de grimoire écrit en français, en latin et en grec, dans lequel elle aurait appris des sortilèges capables d’attirer les hommes dans son établissement. Selon un autre témoignage, elle serait également capable de préparer des philtres d’amour, lui permettant d’assurer la fidélité de ses nombreux clients. Son propre mari, Charles Testard, l’affirme lui-même, accusant la cabaretière d’être une magicienne. On apprend également que Testard est trompé : la cabaretière aurait commis l’adultère à plus d’une reprise, et plusieurs des enfants du couple seraient le résultat de ces aventures extra-conjugales. Certains des amants de la Folleville seraient même de jeunes hommes issus de familles montréalaises huppées et respectables. Pire encore, la Folleville aurait négligé son devoir pascal et aurait même été jusqu’à insulter des membres du clergé.
Malgré toutes ces accusations qui portent contre elle, la Folleville, forte de bonnes relations avec des figures influentes de la société montréalaise, est finalement acquittée par le tribunal. Elle évite ainsi le bannissement. Pour plusieurs historiens, la justice de l’époque est souvent très clémente dans ce genre de situations afin de permettre au commerce de continuer son cours. Anne Lamarque meurt quelques années plus tard, vers 1686, âgée de 37 ans. Ce qui advient du cabaret reste nébuleux : il ferme probablement ses portes après la mort de la cabaretière.
L’histoire d’Anne Lamarque nous plonge dans l’univers montréalais à ses balbutiements. Le rigorisme des membres du clergé s’oppose aux lucratives entreprises des habitants. Anne Lamarque ressort aussi comme une femme d’affaires indépendante et peu encline à se laisser dicter sa conduite par les autorités religieuses. L’histoire de la Folleville montre que malgré l’influence indéniable du clergé sur la société montréalaise du XVIIe siècle, tous ne sont pas sous l’emprise du zèle religieux de l’époque.
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