En 1927, un incendie cause la mort de 77 enfants dans un cinéma du quartier Hochelaga-Maisonneuve. La tragédie fait réagir le clergé qui veut tenir les jeunes loin des salles de projection.
Incendie Laurier Palace
Au programme ce jour-là, un long métrage et des films courts, dont une comédie au titre ironiquement funeste : Get ’Em Young (Prenez-les jeunes, de Fred Guiol et Stan Laurel, 1926). C’est durant la projection de cette œuvre, vers 13 h 30, que de la fumée apparaît à l’avant du balcon du cinéma, sortant d’une trappe d’aération du plancher d’où s’échappent bientôt des flammes.
Bousculade mortelle
Incendie Laurier Palace
À l’arrivée des secours, venus rapidement de la caserne d’incendie 13 et du poste de police 11, situés tout près, les corps forment une masse compacte dans la cage d’escalier. Pompiers et policiers sont accueillis par des cris, des pleurs et des appels à l’aide. Il faut défoncer la cloison de l’escalier pour sortir les enfants. La plupart sont déjà morts, asphyxiés ou écrasés. Un pompier reconnaît son fils de six ans parmi les corps sans vie. Un constable perd quant à lui trois de ses enfants dans le drame.
On extirpe de la cage d’escalier les cadavres de 77 victimes. La plupart se trouvaient en état d’infraction, l’entrée au cinéma pour les moins de 16 ans non accompagnés par un adulte responsable étant interdite à l’époque.
Le clergé réagit
Incendie Laurier Palace
Au début du XXe siècle, diverses organisations religieuses montréalaises, de même que certains intellectuels, considèrent que le cinéma est malsain pour les enfants. On estime que les jeunes ont davantage besoin de profiter de l’air pur que de s’entasser dans des salles obscures pour visionner des films souvent jugés immoraux. D’autres, par contre, rappellent que les enfants de 15 ans sont quand même jugés assez vieux pour travailler 10 heures par jour en usine…
Les pressions du clergé contribuent fortement à la création par le premier ministre du Québec, Louis-Alexandre Taschereau, d’une commission royale d’enquête sur la sécurité et l’accessibilité des cinémas.
Des conséquences majeures pour un incendie mineur
Incendie Laurier Palace
Les policiers procèdent à l’arrestation du propriétaire du Laurier Palace, Ameen Lawand, et de quelques employés du cinéma. Ils sont accusés de négligence criminelle pour avoir laissé entrer des centaines d’enfants non accompagnés. Ameen Lawand, tenu criminellement responsable de l’événement, évite la prison pour homicide grâce à un report de procès, et il semble qu’il n’ait pas été poursuivi.
Une fois accomplie la mission de la commission royale d’enquête dont il est responsable, le juge Louis Boyer émet son rapport, où il conclut que la panique a été la cause principale de la mort des 77 enfants décédés dans les escaliers. Il ne recommande pas la fermeture des cinémas le dimanche, si fortement réclamée par le clergé. Toutefois, en 1928, une loi est adoptée pour interdire l’accès des salles aux moins de 16 ans. Ce qui fut fait durant plus de 40 ans. La loi précise aussi les mesures de sécurité à respecter dans les cinémas et les théâtres, dont la présence de portes paniques que l’on doit pouvoir ouvrir de l’intérieur en tout temps. Plusieurs vieux théâtres doivent fermer à cause de la nouvelle règlementation.
Peu de traces subsistent de ce terrible incendie. Une simple plaque rappelle le lieu de la tragédie, sur le bâtiment situé au 3215, rue Sainte-Catherine Est. L’adresse a changé, mais c’est bien là que se trouvait le Laurier Palace, remplacé aujourd’hui par une église évangélique. Le père d’une des victimes a aussi fait ériger un monument commémoratif au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
Ameen Lawand s’y connaît en cinéma lorsqu’il devient propriétaire du Laurier Palace. Dès 1909, il se procure un projecteur de Léo-Ernest Ouimet avec ses frères Eli, Joseph, Najeeb et Abraham, ainsi que sa sœur Katbe, pour effectuer des projections au King Edward, sur la rue Saint-Laurent. Au fil du temps, ces immigrants libanais-syriens se taillent une place de choix dans l’industrie du cinéma à Montréal. La famille possède plusieurs salles, dont le Dominion, rue Papineau (actuellement La Tulipe) et le Rialto, sur l’avenue du Parc. Ce dernier passe aux mains de la United Amusement, une chaîne rivale, en 1924.
Les Lawand répliquent quelques années plus tard en créant la Confederation Amusement Ltd., qui occupe pendant une dizaine d’années le premier rang des chaînes de salles indépendantes à Montréal. On lui doit, entre autres, la création du théâtre Outremont, en 1929, qui se fait remarquer par son style Art déco. Mais en 1938, la United Amusement reprend le dessus en s’appropriant les salles de ses compétiteurs, grâce à ses liens avec la puissante Famous Players Canadian Corporation.