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Un cinéma tristement célèbre, le Laurier Palace

08 janvier 2019
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En 1927, un incendie cause la mort de 77 enfants dans un cinéma du quartier Hochelaga-Maisonneuve. La tragédie fait réagir le clergé qui veut tenir les jeunes loin des salles de projection.

Incendie Laurier Palace

Une du journal La Patrie du 10 janvier 1927
Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Dimanche après-midi, 9 janvier 1927. Des centaines de spectateurs, en majorité des enfants, ont payé leur entrée à 10 sous pour assister à la projection de films muets au Laurier Palace. Inauguré en 1912, ce cinéma est situé au 1683, rue Sainte-Catherine Est (adresse à l'époque), dans Hochelaga, quartier ouvrier de Montréal.

Au programme ce jour-là, un long métrage et des films courts, dont une comédie au titre ironiquement funeste : Get ’Em Young (Prenez-les jeunes, de Fred Guiol et Stan Laurel, 1926). C’est durant la projection de cette œuvre, vers 13 h 30, que de la fumée apparaît à l’avant du balcon du cinéma, sortant d’une trappe d’aération du plancher d’où s’échappent bientôt des flammes.

Bousculade mortelle

Incendie Laurier Palace

Façade brûlée du Laurier Palace au lendemain de l'incendie
Collection du Musée des pompiers de Montréal
Le cinéma de 850 places est bondé. Au balcon, occupé presque entièrement par des enfants, ceux qui n’ont pas trouvé de siège sont installés dans les allées. Lorsque l’incendie se déclare, après que deux placiers ont tenté en vain d’éteindre les premières flammes, c’est la panique. Les spectateurs du parterre gagnent rapidement les sorties, mais l’évacuation se complique au balcon. L’ouverture d’une porte du hall bloque la sortie de la cage d’escalier du côté est du balcon. Les jeunes courent pour descendre les marches, trébuchent et s’empilent devant une porte fermée. Dans la section menant au rez-de-chaussée, les enfants s’entassent presque jusqu’au plafond.

À l’arrivée des secours, venus rapidement de la caserne d’incendie 13 et du poste de police 11, situés tout près, les corps forment une masse compacte dans la cage d’escalier. Pompiers et policiers sont accueillis par des cris, des pleurs et des appels à l’aide. Il faut défoncer la cloison de l’escalier pour sortir les enfants. La plupart sont déjà morts, asphyxiés ou écrasés. Un pompier reconnaît son fils de six ans parmi les corps sans vie. Un constable perd quant à lui trois de ses enfants dans le drame.

On extirpe de la cage d’escalier les cadavres de 77 victimes. La plupart se trouvaient en état d’infraction, l’entrée au cinéma pour les moins de 16 ans non accompagnés par un adulte responsable étant interdite à l’époque.

Le clergé réagit

Incendie Laurier Palace

Vue intérieure du Laurier Palace le lendemain de l'incendie
Collection du Musée des pompiers de Montréal
Peu après le drame, le chanoine Adélard Harbour attribue le décès des jeunes victimes à « l’immoral Moloch moderne du plaisir : le cinéma ». Quelques semaines plus tard, le père Papin Archambault publie une brochure au titre non équivoque : Parents chrétiens, sauvez vos enfants du cinéma meurtrier. Le clergé catholique utilise le tragique incident pour mousser sa croisade contre le cinéma, revendiquant l’abolition des projections le dimanche, ainsi que l’interdiction de l’accès aux salles pour les moins de 16 ans en tout temps.

Au début du XXe siècle, diverses organisations religieuses montréalaises, de même que certains intellectuels, considèrent que le cinéma est malsain pour les enfants. On estime que les jeunes ont davantage besoin de profiter de l’air pur que de s’entasser dans des salles obscures pour visionner des films souvent jugés immoraux. D’autres, par contre, rappellent que les enfants de 15 ans sont quand même jugés assez vieux pour travailler 10 heures par jour en usine…

Les pressions du clergé contribuent fortement à la création par le premier ministre du Québec, Louis-Alexandre Taschereau, d’une commission royale d’enquête sur la sécurité et l’accessibilité des cinémas.

Des conséquences majeures pour un incendie mineur

Incendie Laurier Palace

Façade brûlée du Laurier Palace au lendemain de l'incendie
Collection du Musée des pompiers de Montréal
Possiblement causé par une cigarette échappée ou mal éteinte, l’incendie du Laurier Palace a été maîtrisé par les pompiers en une trentaine de minutes. Alors qu’il aurait pu s’agir d’un incident banal, le tragique événement marque l’histoire des projections cinématographiques au Québec et provoque un changement législatif non négligeable. Dès le lendemain de l’incendie, les cinémas et théâtres montréalais reçoivent la visite des inspecteurs de la Ville. Certains établissements doivent subir des modifications pour respecter les normes de sécurité, d’autres sont forcés de fermer leurs portes.

Les policiers procèdent à l’arrestation du propriétaire du Laurier Palace, Ameen Lawand, et de quelques employés du cinéma. Ils sont accusés de négligence criminelle pour avoir laissé entrer des centaines d’enfants non accompagnés. Ameen Lawand, tenu criminellement responsable de l’événement, évite la prison pour homicide grâce à un report de procès, et il semble qu’il n’ait pas été poursuivi.

Une fois accomplie la mission de la commission royale d’enquête dont il est responsable, le juge Louis Boyer émet son rapport, où il conclut que la panique a été la cause principale de la mort des 77 enfants décédés dans les escaliers. Il ne recommande pas la fermeture des cinémas le dimanche, si fortement réclamée par le clergé. Toutefois, en 1928, une loi est adoptée pour interdire l’accès des salles aux moins de 16 ans. Ce qui fut fait durant plus de 40 ans. La loi précise aussi les mesures de sécurité à respecter dans les cinémas et les théâtres, dont la présence de portes paniques que l’on doit pouvoir ouvrir de l’intérieur en tout temps. Plusieurs vieux théâtres doivent fermer à cause de la nouvelle règlementation.

Peu de traces subsistent de ce terrible incendie. Une simple plaque rappelle le lieu de la tragédie, sur le bâtiment situé au 3215, rue Sainte-Catherine Est. L’adresse a changé, mais c’est bien là que se trouvait le Laurier Palace, remplacé aujourd’hui par une église évangélique. Le père d’une des victimes a aussi fait ériger un monument commémoratif au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

Les Lawand, des acteurs importants dans l’histoire du cinéma montréalais

Ameen Lawand s’y connaît en cinéma lorsqu’il devient propriétaire du Laurier Palace. Dès 1909, il se procure un projecteur de Léo-Ernest Ouimet avec ses frères Eli, Joseph, Najeeb et Abraham, ainsi que sa sœur Katbe, pour effectuer des projections au King Edward, sur la rue Saint-Laurent. Au fil du temps, ces immigrants libanais-syriens se taillent une place de choix dans l’industrie du cinéma à Montréal. La famille possède plusieurs salles, dont le Dominion, rue Papineau (actuellement La Tulipe) et le Rialto, sur l’avenue du Parc. Ce dernier passe aux mains de la United Amusement, une chaîne rivale, en 1924.

Les Lawand répliquent quelques années plus tard en créant la Confederation Amusement Ltd., qui occupe pendant une dizaine d’années le premier rang des chaînes de salles indépendantes à Montréal. On lui doit, entre autres, la création du théâtre Outremont, en 1929, qui se fait remarquer par son style Art déco. Mais en 1938, la United Amusement reprend le dessus en s’appropriant les salles de ses compétiteurs, grâce à ses liens avec la puissante Famous Players Canadian Corporation.