Espace vert et festif, le nouveau parc du Pied-du-Courant émerge d’un passé marqué par l’industrialisation. Il y a plus de 135 ans, il avait déjà pour vocation d’aérer les Montréalais.
Carré Bellerive
À la fin du bail de 10 ans, le Canadien Pacifique, qui a acheté la NSRC en 1885, fait valoir ses droits sur le parc. Le conseil municipal propose alors à la compagnie ferroviaire un échange qui s’avèrera extrêmement avantageux pour elle : le terrain du parc contre le terrain de la future gare Viger à l’extrémité est de l’actuel Vieux-Montréal. Le 19 septembre 1893, la Ville de Montréal acquiert officiellement le terrain du carré Bellerive (à ne pas confondre avec l’actuel parc de la Promenade-Bellerive, plus à l’est!). De cette véritable fenêtre sur le fleuve, les résidants du quartier observent le passage des transatlantiques. L’hiver, les enfants viennent glisser dans la côte menant au traversier.
Au quai Poupart
Usines de la Dominion Oil Cloth Co.
Cependant, la tranquillité du parc est bien précaire, car les installations ferroviaires et maritimes qui sont à proximité attirent les industries. Les usines de l’Adams Tobacco Co. et de la Dominion Oil Cloth Co., d’immenses réservoirs de mélasse ainsi que des amoncellements de charbon et de houille sur les quais encadrent de part et d’autre l’espace vert. Bientôt réduit à la grandeur « d’un mouchoir de poche », enfumé par les usines et sali par la poussière de charbon, comme le décrit bien le journaliste du Devoir, Louis Dupire, en 1934, le petit parc est traité comme un intrus dans le paysage riverain montréalais fortement industrialisé.
Des « tanks à m’lasse » controversés
Carré Bellerive
Ayant la permission de la Ville de construire des citernes temporaires pour entreposer une grosse livraison de mélasse, la direction de l’usine Carrier outrepasse ses droits et érige des réservoirs permanents au coût de 75 000 dollars. L’équipe du maire Drapeau tente de corriger la situation en octroyant un nouveau bail contraignant, mais non renouvelable, pour la forcer à déménager. Succédant à Drapeau en 1957, l’administration de Sarto Fournier annule les pénalités de 29 000 dollars accumulées par la compagnie et reconduit le bail afin de maintenir les emplois de la manufacture. Le parc sera cependant agrandi en 1964, après la destruction des maisons situées autour des silos à mélasse. Abandonnés lors des décennies suivantes, les réservoirs désaffectés ne sont démolis qu’en 2012 sur ordre du ministère des Transports.
L’usine de la Dominion Oil Cloth Co. ayant laissé place à un dépôt à neige, un véritable projet riverain prend finalement forme sur la promenade bordant les anciens quais du Pied-du-Courant. Aujourd’hui, les Montréalais s’arrêtent à l’ancien carré Bellerive, renommé officiellement parc du Pied-du-Courant en 2018, pour voir les feux d’artifice, ou y passent en allant au Village du Pied-du-Courant. Issu d’une initiative citoyenne, le Village est un espace festif estival aménagé sur l’ancien dépôt à neige qui avait remplacé l’usine de la Dominion Oil Cloth Co. Convoité par les industriels puis par les citoyens, le rivage dans le secteur de la promenade du Pied-du-Courant alimente les discussions depuis plus d’un siècle.
L’article original est paru dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans Le Journal de Montréal du 2 octobre 2016. Il a été remanié en 2019 pour sa publication dans Mémoires des Montréalais.
COMITÉ CITOYEN DU PARC BELLERIVE, RAYSIDE/LABOSSIÈRE. Le parc Bellerive, Montréal, juillet 2013, 22 p.
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