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Anne Courtemanche, sage-femme à Longue-Pointe au XVIIIe siècle

20 janvier 2020

Durant le Régime français, la profession de sage-femme est une des seules que peuvent pratiquer les femmes. Anne Courtemanche est une des premières sages-femmes connues de Longue-Pointe.

Accouchement

Gravure ancienne montrant un accouchement
L’accouchement, par Abraham Brosse, 1633.
Anne Courtemanche est baptisée le 9 mars 1666 à l’église Notre-Dame de Montréal. Elle est la fille d’Antoine Courtemanche et d’Élisabeth Haguin. Elle épouse Laurent Archambault à Pointe-aux-Trembles le 3 novembre 1686.

Comme la paroisse de Longue-Pointe n’est érigée canoniquement qu’en 1722 et que les registres ne s’ouvrent qu’en 1724, les mariages de la partie est de Longue-Pointe sont enregistrés à Pointe-aux-Trembles. La présence de Laurent Archambault et d’Anne Courtemanche à Longue-Pointe en 1685 est confirmée par une déclaration en date du 5 mai 1908 de Pierre Bernard, propriétaire du lot 403 du cadastre du village de Longue-Pointe et descendant de Laurent Archambault et d’Anne Courtemanche. Le couple Archambault Courtemanche a eu neuf enfants, tous baptisés à Pointe-aux-Trembles sauf Marie-Madeleine, baptisée à l’église Notre-Dame de Montréal.

On sait qu’Anne Courtemanche est sage-femme par trois mentions dans les registres. Dans l’acte de baptême des frères Alexis et Jean-Baptiste Dumay, nés et baptisés le 17 juillet 1722 à Pointe-aux-Trembles, il est écrit que les enfants ont été « baptisés par la sage femme Anne Courtemanche ». L’acte de baptême de Charles Goguet, né le 30 septembre et baptisé le 1er octobre 1725 à Saint-François, mentionne que Charles a « été baptisé à la maison par la sage femme nommée Anne Courtemanche ». Sur l’acte de baptême de Cécile Amable Sicar, née le 3 et baptisée le 4 janvier 1730 à Pointe-aux-Trembles, on lit que l’enfant « qui était en danger de mort après la naissance a été ondoyée par Anne Courtemanche sage femme ». Le nom de l’accoucheuse est mentionné dans les registres uniquement parce qu’on craint pour la vie des enfants et que ceux-ci doivent être absolument baptisés.

Il est presque assuré qu’Anne Courtemanche a accouché tous ses petits-enfants. D’ailleurs, elle est la marraine de son petit-fils Joseph Joachim Beaudry, fils de Marie-Angélique Archambault et de Jacques Beaudry. Elle est mentionnée à huit reprises à titre de marraine entre 1701 et 1731. A-t-elle travaillé durant toutes ces années? Difficile à dire. Précisons toutefois que ses deux derniers enfants, Marie-Anne et Antoine, naissent respectivement en juin 1703 et janvier 1706. Une seule chose est sûre : elle est sage-femme de 1722 à 1730.

Une profession en devenir

Comment Anne Courtemanche devient-elle sage-femme? D’abord parce qu’elle a accouché de neuf enfants. Ensuite sûrement par l’exemple donné par d’autres femmes du village. Une autre possibilité vient du fait que la tante de Laurent Archambault, Anne (vers 1626-1699), est une sage-femme d’expérience. Avec le chirurgien Antoine Forestier, elle agit à titre d’experte pour la cour en octobre et novembre 1692 pour vérifier si une plaignante, Marie Brazeau, est bel et bien enceinte.

C’est dans un acte de baptême du 6 avril 1655 que se trouve la première mention d’une sage-femme en Nouvelle-France. Il s’agit d’Hélène Desportes qui travaille dans la région de Québec jusqu’en 1672. Le travail des sages-femmes est officiellement reconnu en 1691 lorsque l’État légifère dans le domaine de la santé en divisant la pratique de la médecine en trois champs distincts et autonomes : les médecins, les chirurgiens et les sages-femmes. En 1703, monseigneur de Saint-Vallier, évêque de Nouvelle-France, publie Le Rituel du diocèse de Québec qui comporte une mesure révolutionnaire pour l’époque : il recommande aux curés de chaque paroisse de procéder à l’élection des sages-femmes. Il est donc assuré qu’au moins de 1722 à 1730, Anne Courtemanche est élue par les femmes de la paroisse de Longue-Pointe.

L’accouchement

Accouchement

Gravure tirée d’un livre ancien et montrant une scène d’accouchement
Service des livres rares et collections spéciales, Université de Montréal.
Comment procède Anne Courtemanche lors d’un accouchement? Lorsque les contractions commencent et que le bébé va bientôt se présenter, on chasse mari et enfants. L’accouchement ne se fait qu’en présence de femmes : la sage-femme, la releveuse, souvent la grand-mère et assurément des voisines venant aux nouvelles. D’après les images d’époque en France, la femme accouche en position assise. La Nouvelle-France accorde une espèce de congé de maternité à la nouvelle mère. Pendant cette période, elle est dispensée de travaux ménagers et peut rester assise durant la messe. De plus, elle est dispensée de devoir conjugal jusqu’à 40 jours après l’accouchement.

Les sages-femmes sont devenues expertes dans l’utilisation de plantes médicinales comme l’ergot, un champignon parasite des céréales. Celui-ci aide à soulager les douleurs de l’accouchement que les curés de l’époque attribuent à un juste châtiment pour le péché originel d’Ève au paradis. Elles utilisent également la belladone, un puissant antispasmodique pour éviter les spasmes conduisant aux fausses couches.

Anne Courtemanche meurt le 4 août 1737 et est inhumée deux jours plus tard dans le cimetière de Saint-François d’Assise. Son mari lui survit jusqu’au 29 mars 1749. L’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve a voulu saluer la mémoire de la sage-femme en nommant une rue en son honneur dans le Faubourg Contrecœur, au nord-est de Mercier.

Références bibliographiques

LAFORCE, Hélène. « L’univers de la sage-femme aux XVIIe et XVIIIe siècle », Cap-aux-Diamants, Vol. 1, no 3, automne 1985.

LAVOIE, Jean-Pascal. « Fêtes de la Nouvelle-France : précieux conseils de la sage-femme », Le Soleil, 8 août 2009.

SÉGUIN, Robert-Lionel. La vie libertine en Nouvelle-France, Septentrion, Québec, 2014.