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Traverser à l’île Bizard par bateau et par pont

27 septembre 2021
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Il est attesté que l’île Bizard est accostable par traversier depuis plus de 200 ans. Toujours en place, le bac à traille est presque une curiosité et présente bien des charmes.

Traversier île Bizard

Photo couleur montrant un traversier avec deux véhicules à son bord sur une rivière. On aperçoit les deux rives.
Archives de la Société patrimoine et histoire de l’île Bizard et de Sainte-Geneviève
Avez-vous déjà traversé la rivière des Prairies en bateau de l’île Bizard à Laval-sur-le-Lac? En 2021, pour cinq, trois ou deux dollars si vous êtes automobiliste, motocycliste ou cycliste, vous pouvez quitter l’île et vous rendre à Laval grâce à l’un des rares traversiers à traille toujours opérationnels au Québec.

Comme l’écrit en 1813 le seigneur de l’île Bizard, Hugues Heney, à l’inspecteur des chemins Jacques Viger, les bacs ont été pendant longtemps le principal moyen de se déplacer entre les îles. Établis sur les terres neuves au nord du lac des Deux Montagnes, les fils de cultivateurs pouvaient ainsi saluer leur paternel dans l’île Bizard avant d’apporter leurs produits aux marchés de Montréal. Empruntant un premier bac à Saint-Eustache, les voyageurs mettaient d’abord pied à l’île Jésus (où se trouve Laval), traversaient le village de Sainte-Dorothée et se dirigeaient vers l’ouest jusqu’à la traverse menant à la berge nord de l’île Bizard. Après une courte visite à la famille, un troisième bac les attendait au sud de l’île pour les mener à Sainte-Geneviève sur l’île de Montréal. Ce voyage vers la ville devait prendre au moins deux jours!

Un système ingénieux

Traversier île Bizard

Carte postale en noir et blanc montrant un traversier accosté avec une voiture à son bord et trois cyclistes qui se préparent à embarquer. On voit un quatrième homme devant le traversier.
BAnQ Numérique, notice 0002636276.
Armés de rames et de perches, les premiers bateliers de l’île Bizard luttent contre le fort courant en aval du rapide Lalemant de la rivière des Prairies pour mener leur bac à bon port. Le métier n’est pas sans risque. Certains se noient, comme le passeur Zénon Clément en 1898. Ayant épousé la veuve Clément, Vitalien Bigras succède au défunt à la charge de batelier. En 1903, il décide d’appliquer le principe de la traille et d’utiliser la force du courant, autrefois meurtrier, pour l’aider à traverser le bras de rivière. Il tend un filin d’acier entre deux mats plantés de chaque côté de la rivière. Puis, le bac y est attaché à l’aide d’un câble muni de poulies. En exerçant une pression sur le côté du bateau bien arrimé au filin, le courant pousse naturellement le bac vers la rive opposée, comme l’aurait fait le vent sur une voile.

Plusieurs assument successivement la charge de batelier, notamment les Bélanger, Bastien, Sévigny, Bigras et Bolduc. À partir de 1983, c’est Paule Bigras-Bolduc qui assure le service. Deux bacs à traille porteront son prénom : tout d’abord le Paule I, en bois et sans moteur, manœuvré manuellement à l’aide d’une grande roue, qui ne transportait que deux véhicules à la fois, puis l’actuel Paule II, en acier, muni d’un moteur qui ne sert qu’à l’orientation du bateau, car celui-ci fonctionne encore sur le principe de la traille. Plus de 100 ans après la mise au point du système, M. Guillemette offre le service du traversier entre les mois d’avril et de novembre.

À l’arrivée du pont

Pont île Bizard

Photo en noir et blanc d’un pont métallique, d’une rive à l’autre.
BAnQ Numérique, P48,S1,P16628.
De 1790, année de la mise en fonction du bac, jusqu’à la construction du premier pont en 1892-1893, le bateau demeure incontournable au sud de l’île Bizard pour se rendre à Sainte-Geneviève sur l’île de Montréal. Vers 1850, le marchand Guillaume Gamelin-Gaucher fait l’acquisition d’un horse boat, un navire doté de roues à aubes activées par un manège à traction équine. Précédant les bateaux à vapeur, ce type d’embarcation est aussi utilisé à Longueuil et à Lachine, où le fort courant se fait sentir. Cependant, l’expérience du horse-boat semble avoir été de courte durée.

Mais la modernité ne manque pas d’arriver à l’île Bizard. Honoré Mercier, premier ministre du Québec, confie à l’ingénieur belge Gérard Macquet la mission de doter l’île de son premier pont. Exposée à Bruxelles en 1880, la travée parabolique est importée de Belgique pour la construction de l’ouvrage d’art. Macquet dessine pour le Québec 30 ponts métalliques dont la conception ingénieuse intéresse même Gustave Eiffel. Seulement six d’entre eux sont toujours existants. Bien qu’impressionnante, la structure du pont de l’île Bizard, ouvert à la circulation en 1893, se révèle bien fragile. L’accès est limité aux chevaux allant au pas et aux voitures circulant à moins de 20 milles par heure (32 kilomètres par heure) sous peine d’une amende. Démoli et remplacé en 1966, le pont aura tenu bon plus de 80 ans.

Cet article a été écrit en collaboration avec la Société patrimoine et histoire de l’île Bizard et de Sainte-Geneviève. Il est paru dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans Le Journal de Montréal du 8 octobre 2016. Il a été enrichi pour sa parution dans Mémoires des Montréalais.

Les bateliers de la traverse de l’île Bizard

Déjà en 1813, le seigneur de l’île Bizard, Hugues Heney, décrit à l’inspecteur des chemins, Jacques Viger, trois traversées fluviales dans le secteur. Partant de Sainte-Geneviève, le premier traversier navigue de l’île de Montréal à l’île Bizard, le deuxième conduit de cette dernière à Sainte-Dorothée et le troisième se rend finalement à Saint-Eustache.

Bien entendu, ces bacs sont sous la responsabilité de bateliers. On connaît les noms de nombre de ceux qui ont travaillé à l’île Bizard. Selon la Société patrimoine et histoire de l’île Bizard et de Sainte-Geneviève, « en 1906, Vitalien alias Vital Bigras vend les terrains acquis et les droits de traverse à Joseph Bélanger. En 1908, Joseph Bélanger, traversier de Sainte-Dorothée, vend à Camille Bastien des terrains de Sainte-Dorothée, y compris la traverse et le droit de traverse avec le droit du vendeur d’y tenir une traverse, avec chalands, chaloupe, barque, quais, câbles en fil de fer ou en acier, avec les droits de débarquement et d’embarquement sur le lot n° 99 de l’île Bizard. Camille Bastien, batelier de Sainte-Dorothée, vend le bac, en 1912, à Albert Bigras, qui le cède à Joseph Lucien Bigras en 1915. Omer Bigras l’achète en 1933, et ses filles, Gisèle, Denise et Paule, prennent la relève en 1951. »

Source : Traversier entre l’île Bizard et l’île Jésus au début du XXe siècle, fonds de la Société d’histoire et de généalogie de l’île Jésus, collection Christine Bolduc.

Références bibliographiques

LEFRANÇOIS, Jean. « Gérard Macquet, un ingénieur visionnaire », Continuité, Les ponts, no 95, hiver 2002-2003, p. 22-23.

LINTEAU, Paul-André, et autres. Montréal, par pont et traverse, Groupe Nota Bene, Éditions Varia, Fonds, 1999, 94 p.