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Emma Albani au couvent du Sacré-Cœur

09 octobre 2018
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Saluée par des monarques européens à la fin du XIXe siècle, la chanteuse montréalaise Emma Lajeunesse, alias Emma Albani, a bâti une prestigieuse carrière internationale.

Cantatrice de renommée internationale au début du XXe siècle, Emma Lajeunesse a connu des débuts modestes à Montréal avant de s’expatrier aux États-Unis puis en Europe pour devenir Albani. Acclamée un jour par la foule, réclamée le lendemain par les plus célèbres compositeurs de son époque, elle a été applaudie par la reine Victoria en personne!

Les sœurs musiciennes à Sault-au-Récollet

Couvent du Sacré-Cœur

Gravure du couvent du Sacré-Cœur de 1878
Canadian Illustrated News, 2 mars 1878
Se promenant près du couvent par une belle journée, les jeunes femmes représentées sur la gravure ressemblent à s’y méprendre à Emma et Cornélia Lajeunesse, jadis pensionnaires au Sacré-Cœur. Née à Chambly en 1847, Emma révèle très tôt un talent rare pour la musique, tout comme sa sœur cadette Cornélia. À quatre ans, Emma joue déjà du piano avec sa mère Mélina. Musicien accompli et professeur, leur père Joseph leur enseigne le chant et la harpe. C’est en 1856 qu’Emma se produit pour la première fois à l’Institut des artisans de Montréal. Elle n’a que huit ans, mais le public est déjà sous le charme. À la suite du décès en couches de leur mère, les fillettes deviennent pensionnaires au couvent du Sacré-Cœur. Leur père reste près d’elles, car il enseigne la musique au sein de la même institution. Profitant d’une solide formation, Emma reçoit l’enseignement du plus éminent professeur de musique au Canada, Charles-Gustave Smith. Sous son aile et celle de son père, la jeune fille voit sa carrière musicale prendre rapidement forme.

Devenir Emma Albani

Emma Albani

Estampe d’Emma Albani
Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Première cantatrice canadienne à faire une carrière internationale, la jeune Emma connaît des débuts guère aisés. Pour amasser des fonds pour les études de sa fille en Europe, Joseph Lajeunesse organise un concert bénéfice. Mais les journaux clament qu’il est bien peu convenable d’exhiber ainsi sa propre fille en public! Quittant le conservatisme du Québec d’antan, la famille s’installe à Albany, dans l’État de New York. Soprano de la chorale St Joseph, Emma y charme les paroissiens. Finançant le jeune prodige, ils lui permettent d’étudier auprès du ténor parisien Gilbert-Louis Duprez et du Milanais Francesco Lamperti, spécialiste du chant à l’italienne. C’est ainsi qu’Emma prend le nom d’Albani, honorant la ville qui l’a aidée à prendre son envol.

Après des débuts prometteurs à Covent Garden à Londres, la cantatrice parcourt le monde, rencontre les grands monarques et les compositeurs de renom. Au cours des années 1870, Albani se produit à Saint-Pétersbourg devant l’empereur russe Alexandre II puis donne un récital privé en Grande-Bretagne pour la reine Victoria. Les deux femmes se lient d’une amitié durable, et Emma Lajeunesse chantera aux funérailles de la reine en 1901.

Acclamée en Europe, la cantatrice fait ensuite une tournée dans les villes américaines et revient à Montréal pour la première fois en 1883, accueillie chaleureusement par une foule de 10 000 personnes. Mais popularité n’égale pas richesse. C’est grâce à la tenue de concerts à Chambly et à Montréal qu’elle obtient une aisance financière qui lui permet de vivre ses derniers jours en paix. Elle décède dans sa demeure de Londres en 1930.

Cet article est paru dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans Le Journal de Montréal du 5 juin 2016. Il a été légèrement augmenté pour la parution dans Mémoires des Montréalais.

Du couvent à l’école Sophie-Barat

À l’ouest du village du Sault-au-Récollet, les Dames du Sacré-Cœur élèvent leur distingué pensionnat sur les rives ombragées de la rivière des Prairies dans les années 1850. Vouées à l’éducation des jeunes filles bourgeoises depuis la fondation de leur communauté par Madeleine-Sophie Barat en 1800, les religieuses du Sacré-Cœur recueillent des dons de ces riches familles. Cela leur permet d’instruire les filles d’origine plus modeste, comme les sœurs Lajeunesse, dans un pavillon adjacent. Bien qu’une carrière de scène ne soit pas respectable pour une jeune femme de bonne famille, la Supérieure est consciente du don prodigieux d’Emma Lajeunesse et l’encourage à poursuivre dans cette voie.

Du prestigieux couvent fréquenté par la musicienne, il ne reste que quelques pierres. Incendié en 1929, le pensionnat est néanmoins reconstruit dans un style rappelant l’ancien édifice. Vendue par les sœurs en 1970, l’école prend le nom de Sophie-Barat, fondatrice du Sacré-Cœur. École secondaire publique mixte, elle accueille désormais plus de 1500 étudiants.