Blaudino |
Témoignage
Une chronologie d’épreuves
Bonjour. Je m’appelle Blaudino Jules, j’ai 17 ans, je suis haïtien. Je suis en classe d’accueil mais, l’année prochaine, j’irai dans une classe « régulière » de quatrième secondaire. Je suis arrivé ici, au Canada, en novembre 2022 et j’ai été inscrit dans une école québécoise quelques mois plus tard, soit au début du mois d’avril 2023. Aujourd’hui, je vais vous raconter mon histoire par le biais d’une paire de chaussures qui revêt une grande importance pour moi.
Un objet remarquable
Les chaussures dont je parlerai aujourd’hui sont une paire de bottes de style « Dalton ». Ce qui est curieux, avec ces bottes, c’est qu’elles sont spéciales par leur forme, leur modèle unique et leur utilisation. Aussi, cette paire de chaussures a été dessinée par le styliste américain Tommy Hilfiger, qui est aussi connu mondialement pour sa compagnie de prêt-à-porter, Tommy Hilfiger. Cette paire de bottes est très importante pour moi parce qu’elles sont les premières chaussures que j’ai eues au Canada. Comme elle est très symbolique et qu’elle me rappelle un moment marquant de mon parcours migratoire, je ne la porte que lors d’occasions spéciales, comme lorsque je vais à l’église.
Des souvenirs inoubliables, des images indispensables
Non, je n’ai pas acheté mes bottes dans un magasin. Je les ai plutôt gagnées dans le cadre d’une fête qui a eu lieu l’année dernière, dans une église. Fait inusité, j’avais été invité à me rendre à cette église sans savoir, alors, qu’une fête y était organisée et que l’on pouvait y remporter des prix. J’ai de très beaux souvenirs de cette magnifique journée.
Tribulations biographiques
Retournons un peu dans le passé. Le 12 avril 2018, j’étais à l’aéroport de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, pour me rendre au Brésil. J’avais 11 ans, j’étais accompagné de ma sœur aînée qui avait 13 ans et de mon oncle, qui, malheureusement, est décédé et qui a été enterré le 23 mars dernier. Je faisais alors un voyage d’avion de 12 heures. Le lendemain, nous sommes arrivés à São Paulo et, ensuite, nous avons dû prendre un bus qui partait de São Paulo en direction de Curitiba, où vivait ma mère à cette époque. Précisons qu’à ce moment, mon oncle n’était pas présent et était demeuré à l’aéroport. J’étais toutefois accompagné d’un autre frère de ma mère, qui était aussi membre de l’église où se rendait souvent la famille. Arrivés au Brésil, tout était parfait. C’est toutefois en quittant le Brésil, trois ans plus tard, que tout a commencé…
En quittant le Brésil, nous sommes allés en Bolivie, en Équateur, au Pérou et nous avons aussi fait des arrêts dans plusieurs autres pays d’Amérique du Sud. Notre itinéraire de voyage nous a enfin emmenés en Colombie, un pays dans lequel nous avons failli perdre la vie.
La Colombie, une expérience de vie traumatisante
En arrivant en Colombie, nous avons dû traverser la frontière en direction du Panama. Cette frontière se trouve dans une forêt appelée « Darién », qui est d’une longueur de 160 kilomètres et d’une largeur de 50 kilomètres. En chemin, nous avons rencontré des gens épuisés, qui, comme nous, cherchaient à traverser la frontière. Sur le chemin, nous constations que d’autres étaient décédés. Malheureusement, le pire était encore à venir.
Sur notre route, nous avons rencontré deux groupes criminels. Dans le deuxième groupe, il y avait environ 50 criminels armés de toutes sortes d’armes et possédant une grande quantité d’équipements militaires. Je me souviens qu’ils maltraitaient les gens, les battaient et nous demandaient de l’argent. J’ai eu la peur de ma vie…
Quelques mois plus tard, malgré cette expérience traumatisante, je suis arrivé au Canada, et nous voici maintenant de retour au présent, ici, à Outremont, en ce 29 mars 2024. Me voilà assis à l’école, devant un cahier et un crayon, en revivant ces moments, comme s’ils avaient eu lieu hier.
Je suis le seul, aujourd’hui, à comprendre le vrai prix qu’il a fallu payer pour être vivant, ici, aujourd’hui.
Un achèvement biographique
Comme vous le voyez, les dernières années n’ont pas du tout été faciles. Et il ne s’agit aussi que d’un résumé de ce que j’ai vécu. Mes bottes Dalton, aujourd’hui, me rappellent le parcours difficile des derniers mois. En arrivant au Canada, je croyais que les choses allaient changer. Je croyais que tout ce que j’avais vécu en vaudrait la peine mais, jusqu’à présent, rien, que ce soit la volonté de celui qui nous a donné la vie.