Chemins de l’île Bizard

Carte de l’île Bizard, 1907 Agrandir Carte de l’île Bizard, 1907
Source : Alphonse Rodrigue Pinsoneault, Atlas of the Island and City of Montreal, including Ile Bizard , planche 51, (extrait), G1144 M65G475 P5 1907 CAR

Les chemins de l’île Bizard sont composés de quatre routes anciennes qui ceinturent l’île : le chemin Cherrier au sud, la montée Wilson à l’ouest, le chemin du Bord-du-Lac au nord et le chemin Dutour à l’est. Ce sont, avec la montée de l’Église, les voies les plus anciennes de l’île. Les chemins ouest et nord longent à une certaine distance les rives du lac des Deux-Montagnes, tandis que ceux à l’est et au sud sont situés près des rives de la rivière des Prairies. L’île Bizard s’est développée autour de ces routes, le long desquelles les maisons ont été construites.

La seigneurie de l’île Bizard

Concédée en 1678 à Jacques Bizard, nouveau major de Montréal, l’île Bizard est une seigneurie distincte de celle de l’île de Montréal. Auparavant appelée île Bonaventure, elle prend alors le nom d’île Major. Ce n’est que vers 1723 qu’elle reçoit sa dénomination actuelle. Durant les 14 années où il est le seigneur de l’île, Jacques Bizard n’octroie pas de terres. Au cours de cette période, il n’y a encore aucun terrain défriché ni aucun bâtiment. Les premières concessions sont accordées en 1735 par les nouvelles seigneuresses Louise Bizard, fille aînée de Jacques Bizard, et Marie Blaise des Bergères. L’île est bientôt divisée en deux rangées de terres étroites et parallèles, chacune ayant front sur le côté nord ou sud de l’île, leur fond se rejoignant au centre. En 1740, 17 familles habitent l’île. Les colons doivent couper les arbres et arracher les souches pour pouvoir cultiver la terre et construire une maison et quelques dépendances qui serviront aux activités agricoles. Le défrichage se fait à partir du devant, sur le bord du lac des Deux-Montagnes ou de la rivière des Prairies, tandis que le fond des terres, au centre de l’île, reste boisé. À la fin du 18e siècle, la colonisation de l’île s’accélère : en 1781, 82 terres sont accordées et, en 1813, ce nombre passe à 107. En 1781, on compte 75 maisons, 63 granges et un moulin à farine, et 1 567 des 6 719 arpents de terre concédés sont cultivés.

Chemins de front et de montée

Deux types de chemins ceinturent ou traversent l’île Bizard. Il y a d’abord les chemins de front ou de base, qui passent sur le devant des terres : les chemins Cherrier, au sud, et du Bord-du-Lac, au nord. Sur les côtés de l’île et en son centre, on trouve des chemins de communication, aussi appelés montées, qui longent les terres sur leur longueur et relient les chemins de front. Ils correspondent aux montées Wilson à l’ouest, au chemin Dutour à l’est et à la montée de l’Église au centre.

Les chemins de l’île Bizard sont vraisemblablement ouverts à la fin du 18e siècle, bien que l’on voie les premières traces de l’un d’eux dès 1763. Une carte de l’île Bizard établie par James Murray cette année-là ou environ indique un petit chemin dans la partie sud de l’île, qui va du centre jusqu’à l’extrémité est. Il est plausible qu’il corresponde au tracé de l’actuel chemin Cherrier. À cette époque, les terres ne sont défrichées qu’en partie et seules quelques maisons ont été bâties. Ce chemin est prolongé d’un bout à l’autre de l’île avant 1790. Quant au chemin de front du côté nord et à la montée du milieu, ils apparaissent entre 1763 et 1790. Les montées des deux extrémités auraient été construites entre 1790 et 1815.

À la demande des habitants de l’île Bizard et du seigneur Pierre Foretier, le grand voyer René Amable Boucher de Boucherville vient le 6 octobre 1790 tracer et borner officiellement les chemins de l’île et note ces renseignements dans un procès-verbal. Les chemins de front longeant le nord et le sud de l’île Bizard de même que la montée du milieu sont déjà en place et il s’agit d’en confirmer ou rectifier le tracé, alors que les deux chemins situés aux extrémités est et ouest de l’île n’existent pas encore. En présence des habitants et du seigneur, le grand voyer établit leur tracé. La répartition du travail à faire par les habitants pour ces deux nouvelles routes ne sera établie qu’en 1793. Ces travaux comprennent le dessouchage, l’aplanissement, l’enlèvement des roches et la construction de ponts, de fossés et de clôtures. Les propriétaires terriens contesteront cette obligation jusqu’en 1797, sous prétexte qu’ils « se trouvent incommodés et surchargés à l’excès et nommément [par] les deux chemins qui traversent la dite île Bizard dans ses deux bouts ».

Un plan terrier de l’île Bizard dessiné entre 1807 et 1815 montre que les deux chemins de front et les trois montées sont ouverts. En 1815, Joseph Bouchette décrit ainsi l’île : « C’est un terrain très fertile, entièrement défriché et cultivé. Une bonne route règne tout autour, près de la rivière, et une autre la traverse vers le milieu; le long de ces routes, les maisons des habitans [sic] sont assez nombreuses, mais il n’y a ni village, ni église, ni moulin ». Selon la carte qu’il a dressée, les bâtiments sont concentrés sur le pourtour de l’île, son centre demeurant boisé.

L’entretien des chemins : la responsabilité des habitants

En plus de leur construction, les propriétaires terriens sont responsables de l’entretien des chemins sur la base du système de corvées. Chacun doit s’occuper de la partie du chemin de front qui passe sur le devant de sa terre, tandis que pour les montées, le travail est réparti entre tous les habitants de l’île. Ceux-ci doivent assumer tous les dommages pouvant être causés aux voitures et les amendes attribuables à leur « négligence » dans l’entretien de la partie de chemin qui leur est assignée. Ainsi, lorsqu’un accident survient en raison du mauvais état d’un chemin, un dédommagement est habituellement demandé au Conseil municipal pour le bris de la voiture. Le Conseil réclame à son tour ce montant au cultivateur responsable de cette section de la route.

Équipement pour tasser la neige, 193- Agrandir Équipement pour tasser la neige, 193-
Source : Archives de la Ville de Montréal, VM94, SY, SS1, SSS17, D35 (Série Z, cote 36-4)

En hiver aussi, les habitants doivent entretenir les chemins. La neige n’est pas enlevée des routes comme aujourd’hui; elle est plutôt foulée ou écrasée sur une largeur suffisante pour que deux charrettes puissent se croiser. Il arrivait fréquemment que les chemins soient impraticables durant cette saison. Les gens passaient alors à travers les champs, préalablement balisés à cette fin.

Depuis 1886, le macadamisage des chemins fait l’objet de plusieurs requêtes. Bien qu’un règlement soit adopté à cet effet en 1893, les travaux ne seront pas complétés avant 1919. Les cultivateurs sont découragés devant la quantité de pierres à casser pour l’empierrement des chemins. Le prêt de deux concasseuses par le gouvernement provincial permet finalement d’effectuer les travaux. À partir de 1930, à la demande du Conseil municipal, le gouvernement provincial s’occupe temporairement de l’entretien des chemins. Les propriétaires n’ont donc plus à s’en soucier.

Un village à la croisée des chemins

Photographie aérienne du village de Saint-Raphaël de l’île Bizard, vers 1948 Agrandir Photographie aérienne du village de Saint-Raphaël de l’île Bizard, vers 1948
Source : Archives de la Ville de Montréal, (détail), VM97-41-46_1947-49

Jusqu’à la construction d’une église sur l’île Bizard, en 1843, les résidants se rendent à l’église de Sainte-Geneviève pour faire leurs dévotions. L’implantation du noyau paroissial sur le chemin au sud, à l’angle de la montée du milieu, y lance la formation d’un petit village, au sein duquel s’installent un magasin général et une beurrerie, entre autres. Des maisons villageoises s’élèvent sur quelques rues ouvertes au sud du chemin de front, vis-à-vis l’église. Un premier trottoir en bois est construit en 1879 au centre du village, du côté sud du chemin. Souvent en mauvais état, il nécessite de fréquentes réparations jusqu’à ce qu’il soit remplacé par des trottoirs en ciment en 1918.

À cette époque, malgré la naissance d’un noyau villageois, le territoire de l’île reste presque entièrement occupé par des champs agricoles. On y cultive le blé, l’avoine, l’orge, le seigle, le maïs, les pois et les pommes de terre. Les cultivateurs vont vendre les surplus de leur production, de même que le beurre, aux différents marchés publics de Montréal. À la fin du 19e siècle, il faut environ six heures pour se rendre au marché Bonsecours en charrette.

L’automobile, les routes et l’agriculture

L’arrivée de l’automobile au début des années 1920 influencera non seulement les routes mais également l’agriculture, qui s’oriente désormais vers les cultures maraîchères. L’érection du pont entre l’île Bizard et Sainte-Geneviève (1893) ainsi que l’apparition des camions et camionnettes réduisent grandement la durée du trajet jusqu’aux marchés de Montréal, permettant ainsi de transporter des produits plus facilement périssables.

Plusieurs changements touchent aussi les voies de circulation de l’île à partir de la fin des années 1920. D’abord, vers 1930, les rues macadamisées depuis un peu plus de dix ans sont asphaltées. Puis, en 1933, le Conseil municipal entreprend de les doter de noms officiels. Le chemin au sud, que l’usage désigne par « chemin public », est baptisé rue Cherrier en l’honneur de Côme-Séraphin Cherrier, héritier de la seigneurie de l’île Bizard. Le chemin de front du côté nord, chemin du Lac dans l’usage local, se voit confirmer ce nom en 1933. Plus tard, il deviendra le chemin du Bord-du-Lac. Les montées à l’est et à l’ouest, dites simplement montée d’en bas et montée d’en haut, sont quant à elles nommées respectivement chemin Dutour et montée Wilson, la première longeant à l’origine la terre de Charles Dautour, ancêtre de la famille Dutour, et la seconde la terre de la famille Wilson. Enfin, la montée du milieu s’appellera montée de l’Église. À la fin des années 1930, la municipalité effectue des travaux d’élargissement des chemins et des courbes afin de les rendre moins dangereux pour la circulation automobile, de même que des travaux d’aplanissement des côtes sur les montées, alors impossibles à franchir en voiture. À partir de 1947, des numéros civiques sont installés sur chaque maison.

Urbanisation tardive

Chemin de l’île Bizard, vers 1965 Agrandir Chemin de l’île Bizard, vers 1965
Source : Dossiers de recherche, Ville de Montréal

Des terres de l’île Bizard demeurent cultivées jusqu’à la seconde moitié du 20e siècle. Dans les années 1970, la population augmente considérablement avec la réalisation d’un premier vaste projet d’habitations. Des rues sont aménagées dans les parties sud et ouest de l’île et les terres agricoles sont vendues pour des lotissements résidentiels. L’agriculture est alors progressivement abandonnée. Les terrains sur le pourtour de l’île, en bordure de la rivière, sont lotis pour l’érection de luxueuses maisons. La construction de l’autoroute Transcanadienne réduit alors de beaucoup la durée du trajet entre Montréal et l’île Bizard, qui devient un lieu de résidence privilégié. Le centre de l’île, resté longtemps boisé, est utilisé pour l’aménagement de terrains de golf en 1958 et pour la création du parc-nature de l’Île-Bizard.

Les chemins de l’île Bizard offrent maintenant une grande diversité de paysages. De l’église paroissiale en allant vers l’ouest, sur le chemin Cherrier, on traverse le noyau villageois puis une petite enclave résidentielle avant d’apercevoir d’anciennes maisons de ferme érigées sur de vastes terres. Certains secteurs conservent encore des caractéristiques rurales, avec de petits murets de pierre le long de la voie. Sur la montée Wilson et le chemin du Bord-du-Lac, de vieilles maisons de ferme voisinent de luxueuses résidences, dont certaines sont implantées sur de nouvelles rues parallèles au chemin ancien. Du côté est, des développements résidentiels récents occupent les deux côtés du chemin.

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Pour en savoir plus

Ouvrage généraux et monographies

LABASTROU, Éliane. Histoire de l’île Bizard. Saint-Raphaël-de-l’Île Bizard, Bibliothèque et Conseil municipal de l’île Bizard, 1976, 296 p.

ROBERT, Jean-Claude. Atlas historique de Montréal. Montréal, Art Global/Libre Expression, 1994, 167 p.

SOCIÉTÉ PATRIMOINE ET HISTOIRE DE L’ÎLE BIZARD ET SAINTE-GENEVIÈVE. Aux confins de Montréal : l’Île Bizard, des origines à nos jours. Montréal, Éditions Histoire Québec, 2008, 288 p.

Documents électroniques et sites Web

SERVICE DE LA MISE EN VALEUR DU TERRITOIRE ET DU PATRIMOINE, BUREAU DU PATRIMOINE, DE LA TOPONYMIE ET DE L’EXPERTISE. Évaluation du patrimoine urbain. Arrondissement de l’île-Bizard—Sainte-Geneviève—Sainte-Anne-de-Bellevue. Montréal, Ville de Montréal, 2005, 55 p. [En ligne].

SERVICE DE LA MISE EN VALEUR DU TERRITOIRE ET DU PATRIMOINE, BUREAU DU PATRIMOINE, DE LA TOPONYMIE ET DE L’EXPERTISE. Grand répertoire du patrimoine bâti de Montréal [En ligne].