L’eau, une ressource à exploiter
et contrôler

La volonté de tirer profit de l’eau à des fins lucratives et de la contrôler pour le bien de la population amène la construction de grandes infrastructures. Des œuvres d’ingénierie hors du commun conditionnent et influencent ainsi le développement urbain.

Les canaux, plus que des lieux de passage

Le Saint-Laurent et la rivière des Prairies sont utilisés, depuis les premiers habitants, comme voies de transport et de communication. Par exemple au 19e siècle, le transport du bois est assuré par les cageux, ces hommes qui affrontent les rapides à bord de radeaux de bois. Plus tard, les Montréalais apprennent à contourner ces rapides pour l’expansion de la navigation commerciale et à utiliser leur potentiel énergétique. Le développement économique et industriel de la ville subit alors une évolution considérable.

Travaux d’élargissement du canal de Lachine aux écluses Saint-Gabriel, 18- Agrandir Travaux d’élargissement du canal de Lachine aux écluses Saint-Gabriel, 18-
Source : Archives de la Ville de Montréal, VM94, SY, SS1, SSS17, D1623 (Série Z, cote 1658)

Au début du 19e siècle, avec le ralentissement du commerce des fourrures ainsi que l’essor commercial du bois et du blé, le creusage de canaux s’impose pour permettre le passage de plus gros bateaux ne pouvant franchir les rapides du fleuve. C’est dans ce contexte qu’est construit, entre 1821 et 1825, le canal de Lachine. Cette voie navigable s’étire sur 14 km entre le port de Montréal (aujourd’hui le Vieux-Port) et le lac Saint-Louis. À peine une vingtaine d’années après son inauguration, le canal ne répond déjà plus aux besoins de la navigation commerciale en raison de la taille de plus en plus imposante des navires, ce qui force son élargissement à deux reprises (entre 1843 et 1848 et entre 1870 et 1885).

Dès 1843, dans la foulée du premier élargissement, le milieu des affaires s’intéresse au potentiel hydraulique du canal. Les dénivellations aux écluses peuvent maintenant générer l’énergie motrice nécessaire à la fabrication industrielle. Plusieurs entreprises s’installent d’abord autour des écluses. Peu à peu bordé d’usines les plus diverses, l’ensemble du canal de Lachine devient le berceau de l’industrialisation au Canada. Grâce à sa vitalité économique, Montréal se développe et s’étend rapidement. Toutefois, avec l’inauguration de la Voie maritime du Saint-Laurent, en 1959, le canal de Lachine perd son utilité et est finalement fermé en 1970. Il est rouvert en 2002 pour la navigation de plaisance.

Le territoire montréalais compte également un autre canal de navigation, celui de Sainte-Anne-de-Bellevue, entre l’île-Perrot et l’île de Montréal, lieu de transit stratégique vers l’Outaouais. Une première écluse privée y est aménagée en 1816. Les marchands de la région s’indignent toutefois des tarifs élevés exigés pour son passage. Leurs pressions sur les autorités du Bas-Canada amènent la construction d’une écluse publique entre 1840 et 1843. Ces améliorations favorisent le transport des passagers et des marchandises entre le Haut-Canada et le Bas-Canada. Graduellement, le développement du réseau ferroviaire et le déclin de l’industrie forestière durant la première moitié du 20e siècle transforment la vocation initiale du canal. Aujourd’hui, ce passage est principalement utilisé par les plaisanciers.

La rivière des Prairies, source d’énergie

La production d’énergie hydraulique, et plus tard hydro-électrique, ne se limite pas au canal de Lachine. Elle débute aussi sur la rivière des Prairies dès 1726, quand les sulpiciens installent une digue et des moulins près de Sault-au-Récollet. Au fil du temps, farine, clous, laine et bois sont produits sur ce site. L’exploitation de ce cours d’eau s'intensifiera en 1928 et 1929 avec l’érection à proximité d’un barrage et d’une centrale hydro-électrique. Ces aménagements modifient considérablement le paysage riverain. Ainsi, plusieurs îles et rapides disparaissent en raison de la hausse du niveau de l’eau.

Le port de Montréal et son évolution

Vue du port de Montréal, vers 1872 Agrandir Vue du port de Montréal, vers 1872.
Source : Alexander Henderson, Musée McCord, Montréal, MP-0000.1452.53

Le rôle de plaque tournante du commerce continental qu’acquiert Montréal comme lieu de transbordement de marchandises (des navires au réseau ferroviaire) favorise le développement de son port. Situé devant la ville, le port est au départ fréquenté par une multitude de bateaux à voiles, les marchandises étant déchargées et embarquées à l’aide de canots et de radeaux. Pour remédier à ce procédé peu efficace, des quais et jetées sont construits durant les années 1830 et 1840 par la nouvelle Commission du Havre. Cependant, à la fin du 19e siècle, le bassin principal n’est plus adéquat pour accueillir les navires, dont la taille et le tonnage vont en augmentant. Les installations du port sont entièrement refaites et prolongées vers l’est. En plus des travaux de dragage dans le fleuve, plusieurs quais, jetées, entrepôts, grues et élévateurs à grains sont aménagés sur la berge, occupant désormais tout le rivage de l’entrée du canal Lachine jusqu’à Pointe-aux-Trembles et le rendant de facto inaccessible à la population. À partir des années 1970, certaines de ces installations sont modifiées ou démolies, le port passant d’une vocation céréalière au transport conteneurisé. Maintenant appelée Vieux-Port, la portion la plus ancienne (face à la vieille ville) est convertie en port de plaisance et comprend des aménagements récréotouristiques.

Les inondations, un risque naturel en milieu urbain

Inondation sur la rue Saint-Antoine, 1886 Agrandir Inondation sur la rue
Saint-Antoine, 1886
Source : Archives de la Ville de Montréal, VM94, SY, SS1, SSS17, D1683 (Série Z, cote 1775)

Les inondations font partie des phénomènes naturels qui touchent l’île de Montréal. Sur fond de développement urbain, elles causent des dommages de plus en plus considérables. Dès les années 1830, des mesures sont prises pour contrer les crues du Saint-Laurent. Un mur de soutènement et des descentes sont érigés afin de protéger le port de Montréal, ce qui s’avère toutefois rapidement insuffisant. En avril 1886, les eaux du fleuve s’élèvent à 8,25 m au-dessus du niveau habituel. En plus d’endommager les installations portuaires, qui doivent être remplacées après chaque sinistre, les inondations provoquent aussi des refoulements d’égout et d’importants problèmes sanitaires. Au cours des 19e et 20e siècles, plusieurs digues et stations de pompage sont donc construites pour contrôler les crues. La station de pompage Craig près du pont Jacques-Cartier et la digue de Verdun font partie des installations témoignant de ces efforts.

L’aqueduc, une question de santé et de sécurité publiques

Construction du canal de l’Aqueduc, vers 1914 Agrandir Construction du canal
de l’Aqueduc, vers 1914
Source : Archives de la Ville de Montréal, VM4, S14, SSY, SSS1

Dès le 19e siècle, l’eau est au cœur des préoccupations des autorités municipales; elle devient un enjeu de santé et de sécurité publiques. Avant qu’un premier aqueduc ne voie le jour, la lutte contre les incendies s’avère ardue et peu efficace. La population doit se précipiter au cours d’eau le plus près et relayer seaux et autres récipients jusqu’au lieu du sinistre. Jusqu’au milieu du 19e siècle, la ville aura connu plus de 200 incendies, dont certains ont ravagé des quartiers entiers. À la suite de l'important incendie de 1852, on confie la conception d’un nouveau plan d’approvisionnement en eau à l’ingénieur Thomas C. Keefer.

La mise en place d’un réseau d’aqueduc est aussi motivée par des considérations de santé publique, car dans les années 1850 l’eau est jugée propre à la consommation sur la seule base de son apparence. L’eau courante, limpide et inodore qui circule dans un système d’aqueduc est alors vue comme sécuritaire pour la santé, même si elle n’est pas filtrée. Inauguré en 1856, le canal de l’Aqueduc, long de 2,4 km, amène l’eau puisée dans le fleuve en amont des rapides de Lachine au Pavillon des roues situé à l’emplacement de l’actuelle usine de filtration Atwater. L’usine, bâtie à la suite de l’épidémie de typhoïde de 1910, assure désormais aux Montréalais une eau de meilleure qualité. Avec son système de pompage et de distribution, le réseau d’aqueduc de Montréal constitue une formidable œuvre d’ingénierie qui rappelle l’histoire des avancements technologiques et des réponses des ingénieurs aux problématiques de santé publique et de lutte contre les incendies.

retour