Destination patrimoniale : Écluses Saint-Gabriel

La destination patrimoniale des écluses Saint-Gabriel, située dans l'arrondissement du Sud-Ouest, s'étend des deux côtés du canal de Lachine, à la hauteur du pont des Seigneurs. Pôle significatif du lieu historique national du Canada du canal de Lachine, ce secteur témoigne de l'importance de l'énergie hydraulique, en tant que source d'approvisionnement (force motrice), dans l'essor industriel et commercial de Montréal, de l'exceptionnelle diversité de la production manufacturière aux abords du canal et des avancées importantes dans le domaine des transports au 19e siècle. Outre le pont des Seigneurs, les écluses et les infrastructures hydrauliques, on y retrouve le parc archéologique de la Pointe-des-Seigneurs, ainsi que d'anciens bâtiments industriels importants. Cette destination patrimoniale permet ainsi au visiteur de découvrir une page de l'histoire industrielle de la ville, tout en profitant d'un lieu de plaisance agréable avec ses espaces verts et sa piste cyclable.

Un canal qui change la destinée d'une ferme

Lotissement de la  ferme Saint-Gabriel, 1845 AgrandirLotissement de la ferme Saint-Gabriel, 1845.
Source : John Ostell,
Plan of part of St. Gabriel Farm belonging to the Seminary of Montreal 9…) Shewing (sic) the distribution of building lots,
Ville de Montréal

Les sulpiciens, seigneurs de l'île de Montréal à partir de 1663, exploitent une ferme à l'ouest des fortifications de Ville-Marie, entre le chemin du Haut-Lachine (actuelle rue Notre-Dame) et le chemin du Bas-Lachine (rue Wellington) : c'est la ferme Saint-Gabriel, également appelée ferme des sulpiciens. La rivière Saint-Pierre irrigue ces terres qui seront exploitées à des fins agricoles jusqu'à la première moitié du 19esiècle.

L'idée de construire un canal dans le sud-ouest de l'île afin de contourner les rapides de Lachine remonte au 17esiècle. Malgré les travaux entrepris par les sulpiciens, il faudra attendre 1819 pour que le projet prenne forme avec la création de la Company of Proprietors of the Lachine Canal. Le gouvernement du Bas-Canada reprend le projet en 1821, ce qui lance la construction du canal. Complété en 1825, le canal relie Montréal et Lachine. Il traverse notamment la ferme des sulpiciens; l'écluse située à la hauteur de celle-ci est nommée écluse de Saint-Gabriel. En 1840, le gouvernement du Bas-Canada oblige les sulpiciens à se départir graduellement de leur ferme. Ces derniers voient dans les lots en bordure du canal une occasion de réaliser un profit; ils mandatent l'architecte et arpenteur John Ostell pour concevoir un plan de lotissement. Trois ans plus tard, 501 lots sont mis à l'encan.

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La naissance d'une géographie industrielle

Secteur des écluses Saint-Gabriel, 1879 Agrandir Secteur des écluses Saint-Gabriel, 1879
Source : H.W. Hopkins. Atlas of the city and island of Montreal, including the counties of Jacques Cartier and Hochelaga […], Feuillet M p. 58-59, BAnQ, CA M001 P501-1-D006.

Le premier élargissement du canal, entre 1843 et 1849, mène à la construction d'une nouvelle écluse légèrement au sud de celle de 1825 et d'un canal d'amenée destiné à desservir les roues ou turbines hydrauliques des futures installations industrielles. La société St. Gabriel Hydraulic Company,créée en 1852 par John Young, Ira Gould, Jacob DeWitt et John Ostell, sous-loue les lots hydrauliques et impose aux sous-locataires les coûts liés à l'installation d'infrastructures pour alimenter leur usine. Un canal d'amenée dirige l'eau courante vers des coursiers d'alimentation en direction des roues ou des turbines hydrauliques qui fournissent la force motrice aux établissements industriels. Après avoir généré la force motrice, l'eau est dirigée vers un canal de fuite. Aujourd'hui encore, il est possible d'observer des traces de ce parcours de l'eau dans la géographie environnante, notamment au site historique de la Pointe-des-Seigneurs, une  pointe de terre artificielle formée par ce système hydraulique.

Progressivement, l'ancien territoire de la ferme Saint-Gabriel fait place à des bassins, des quais de transbordement et d'entreposage de marchandises. Les quelques bâtiments de la ferme disparaissent; aux abords des écluses s'élèvent des établissements industriels alimentés par l'énergie hydraulique, mais aussi une raffinerie de sucre recourant à la vapeur.

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Le canal et ses entreprises

>Vue de la minoterie Ogilvie à la  pointe des Seigneurs Agrandir Vue de la minoterie Ogilvie à la pointe des Seigneurs
Source : Fonds E.-Z.-Massicotte, BAnQ, MAS 8-10-b.

Le paysage du canal est façonné par et pour les entreprises qui s'y implantent. Des usines apparaissent dès la première moitié du 19esiècle; certaines durent des décennies, plusieurs changent de propriétaire, de nom ou d'emplacement. Elles sont vendues, modernisées ou démolies, faisant place à d'autres entreprises prêtes à tenter leur chance.

Au milieu du 19esiècle, la meunerie Ogilvie (Glenora Mills) est probablement la première industrie à s'installer sur ce qui deviendra la Pointe-des-Seigneurs. Les nouveaux aménagements hydrauliques mis en place au cours des années 1850 lui permettent de devenir l'une des meuneries les plus importantes de l'ère industrielle de Montréal. L'entreprise prend même de l'expansion et acquiert d'autres meuneries ailleurs à Montréal. Peu à peu, aux écluses Saint-Gabriel, une industrie lourde axée sur la métallurgie et le matériel de transport s'ajoute à la production alimentaire et à la fabrication de biens de consommation. 

Vue aérienne de la pointe des Seigneurs, vers 1927 Agrandir Vue aérienne de la pointe des Seigneurs, vers 1927
Source : ministère des Terres et Forets, BAnQ, fonds de la Compagnie aérienne franco-canadienne, E21,S110,SS1,SSS1,PN49-16.

Un lieu illustre bien la cohabitation de ces deux types d'industries. En 1846, Augustin Cantin construit une cale sèche et un bassin de radoub près des écluses Saint-Gabriel pour son entreprise Canada Marine Works. On y construit notamment des bateaux à vapeur et tout est fabriqué sur place, de la fonderie des moteurs jusqu'à l'atelier de cordage. Vers 1911, la minoterie St. Lawrence Mills s'établit sur le site du chantier naval de Cantin. Le site est racheté en 1956 par la minoterie Robin Hood qui est toujours en fonction aujourd'hui. Des vestiges du chantier naval ont été retrouvés près de la minoterie et d'autres se trouvent toujours sous cette dernière.

L'entreprise de John Redpath, Redpath Sugar, est un autre bel exemple représentatif du secteur industriel léger. Érigée en 1854, selon les plans de John Ostell, il s'agit de la première raffinerie de sucre au Canada.

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Une promenade à travers l'histoire industrielle

Concurrencée dès le début par la vapeur, une autre force motrice, l'énergie hydraulique tire tout de même son épingle du jeu jusqu'à l'entre-deux-guerres alors que l'hydro-électricité s'impose dans les établissements industriels autour des écluses Saint-Gabriel.  Au milieu du 20esiècle, le secteur entre dans une phase de déclin avec l'ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent. Le canal de Lachine est fermé à la navigation et partiellement remblayé. Les industries s'implantent désormais plus près du réseau autoroutier, et plusieurs complexes anciens sont abandonnés.

En 1978, la gestion du canal de Lachine est transférée à Parcs Canada par le ministère des Travaux publics afin de sauvegarder et de mettre en valeur ce lieu historique national. Aujourd'hui, le parc archéologique de la Pointe-des-Seigneurs, les écluses Saint-Gabriel et les anciens complexes industriels qui le bordent peuvent être appréciés lors d'une promenade à pied ou en vélo en empruntant une piste multifonctionnelle. D'anciennes usines ont fait l'objet de projets de reconversion afin de préserver leur architecture industrielle. Par exemple, l'usine Belding Corticelli, construite en 1884 pour transformer la soie grège en fils et en rubans, a été reconvertie en immeuble d'habitation. Son canal de fuite, qui se déverse dans le bassin des Prêtres, puis dans le canal de Lachine, a été mis en valeur et permet d'avoir un aperçu du fonctionnement du système hydraulique.

Le souvenir de certaines entreprises est également visible dans la toponymie locale, comme en témoigne la rue de la Corderie, dont le nom rappelle l'ancienne corderie Consumers Cordage de John Converse, construite vers 1852.

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Pour en savoir plus

Ouvrages généraux et monographies

DESLOGES, Yvon et Alain GELLY. Le canal de Lachine. Du tumulte des flots à l'essor industriel et urbain 1860-1950. Sillery, Septentrion, 2002, 204 p.

FOUGERES, Dany (dir.). Histoire de Montréal et de sa région. Tome 1 : des origines à 1930. Québec, Presses de l'Université Laval, 2012, pages 488-534.

LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération. Montréal, Boréal, 1992, 627 p.

ROBERT, Jean-Claude. Atlas historique de Montréal, Art Global/Libre Expression, 1994, 167 p.

Documents électroniques et sites Web

MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS. Répertoire du patrimoine culturel du Québec, Mises aux enchères des premiers lots hydrauliques du canal de Lachine. [en ligne].

MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS, Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Canal de Lachine, [en ligne].

UNIVERSITÉ CONCORDIA, CHAIRE DE RECHERCHE DU CANADA EN HISTOIRE ORALE, Canal, [en ligne].

VILLE DE MONTRÉAL, Grand répertoire du patrimoine bâti de Montréal, Canal de Lachine, [en ligne].

HÉRITAGE MONTRÉAL Montréal en quartier, Pointe-Saint-Charles, [en ligne].