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Une histoire intimement liée aux rapides

Figure 1. Le développement de la seigneurie de Montréal selon le plan terrier de 1702. Source : Beauregard, 1984, p. 53.

Une occupation particulière
Baignée par le lac des Deux-Montagnes et la rivière des Prairies, l’île Bizard est reconnue pour son parc-nature, ses demeures patrimoniales et ses milieux riverains, dont la plupart sont restés à l’état naturel. L’ensemble du territoire est marqué par la trame seigneuriale de séparation des lots, matérialisée par des haies et des murets de pierres.

Jusqu’au début du XIXe siècle, cette île de l’archipel montréalais porte officiellement le nom d’île Bonaventure, bien qu’on l’appelle île du Major, île Major, puis île Bizard après sa concession en seigneurie à Jacques Bizard, major de Montréal, en 1678. L’île demeure inhabitée jusqu’en 1735, date à laquelle la fille aînée du major, Louise Bizard, accorde les premières concessions à des colons. Le territoire n’est entièrement occupé que vers 1815. Même à cette époque, il n’existe encore ni village, ni église, l’île faisant partie de la paroisse de Sainte-Geneviève.

Au Québec, les terres concédées sous le régime seigneurial sont généralement rectangulaires, étroites, profondes et implantées perpendiculairement à un cours d’eau. Une fois les premiers rangs occupés, d’autres sont ouverts à l’arrière, reliés entre eux par des « chemins de rangs ». Toutefois, certaines configurations donnent lieu à des adaptations. C’est le cas à Montréal, où « (…) le territoire de l’île ne se développe pas uniformément : (…) la partie nord se peuple plus rapidement que la partie sud-ouest, et la périphérie se développe avant l’intérieur » (Atlas historique de Montréal, p. 43).

La carte réalisée par Ludger Beauregard à partir du premier plan terrier de 1702, qui situe les 25 côtes de l'île au début du XVIIIe siècle ainsi que les lots concédés (figure 1), illustre ce phénomène. On y voit notamment comment le développement des îles ceinturant Montréal, dont l’île Bizard (île Major à cette époque), est tardif par rapport à certains secteurs de l’île de Montréal. Sur l’île Bizard, le tracé fondateur des routes s’adapte à la configuration du milieu et aux limites imposées par l’eau. C’est ainsi que ce tracé suit les abords au sud comme au nord et longe les limites des lots concédés, qui sont répartis perpendiculairement aux deux chemins qui bordent l’île.

La paroisse Saint-Raphaël est constituée en juin 1839 à la jonction de la rue Cherrier et de la montée de l’Église, qui coupe l’île en son milieu. Jusqu’à l’abolition du régime seigneurial, en 1854, l’île constitue une seigneurie. Créée par la loi de 1855, la municipalité de la paroisse Saint-Raphaël de l’Île-Bizard ne prend le nom de Ville de L’Île-Bizard qu’en janvier 1995. L’île est intégrée à Montréal en 2002.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, on y pratique une agriculture de subsistance. Les terres agricoles de l’île figurent parmi les meilleures du Québec et les gelées y sont plus tardives grâce au micro-climat attribuable à l’eau qui la ceinture. Le premier pont ouvert à la circulation, en 1893, et l’arrivée des automobiles facilitent le transport des produits vers la ville. Pendant la première moitié du XXe siècle, l’île Bizard est considérée comme le jardin de Montréal.

Dans la seconde moitié du siècle, l’urbanisation s’intensifie et la population décuple. D’abord lieu de villégiature, l’île devient un site de résidence permanente. Aujourd’hui encore, la majeure partie du territoire est protégée par la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA), instaurée par le gouvernement du Québec. Toutefois, beaucoup de terres sont en friche en raison du départ à la retraite des derniers agriculteurs et de la spéculation foncière, laquelle nuit aux projets de remise en culture.

Figure 2. Les rives de l’île Bizard offrent des paysages diversifiés et des milieux riches en biodiversité. Source : CPM, 2010.

Un patrimoine exceptionnel
L’île Bizard offre un patrimoine exceptionnel lié à son histoire, son héritage agricole et ses caractéristiques naturelles. On y trouve une grande concentration de bâtiments patrimoniaux, notamment l’église Saint-Raphaël et son presbytère, des paysages agricoles uniques et des milieux riverains irremplaçables.

Les rives du lac des Deux-Montagnes et de la rivière des Prairies présentent de grandes plaines inondables occupées par des érablières argentées. C’est ici que l’on retrouve la plus grande concentration de ce type de marécage riverain (près de 5 kilomètres de rivage) sur l’ensemble du territoire de la métropole. À l’intérieur, les milieux humides fournissent à la faune des lieux d’alimentation et de reproduction de grande qualité.

On y observe une alternance de champs cultivés et de zones en friche, avec plusieurs successions végétales (champs, friches arbustives et friches arborescentes). Ces zones sont séparées par des massifs boisés de taille variable (dont une grande érablière sucrière mature), des murets de pierre (près de 50 km) et des haies, formant une mosaïque qui favorise la biodiversité.

Figure 3. L’alternance des champs cultivés et des milieux boisés telle qu’elle se présentait en 1970. On retrouve ces caractéristiques encore aujourd’hui dans certains secteurs de l’île. Source : Direction des grands parcs et du verdissement, Ville de Montréal.

On y trouve différentes espèces animales, dont le cerf de Virginie, des rapaces, ainsi que des espèces d’oiseaux comme le goglu, la sturnelle des prés et le merle bleu, toutes de plus en plus rares dans la région de Montréal. Plusieurs espèces à statut précaire y ont aussi été répertoriées, de même qu’une espèce faunique désignée vulnérable : la tortue géographique. De plus, une dizaine d’espèces de plantes sont susceptibles d'être désignées comme espèce menacée ou vulnérable, dont le chêne bicolore, le caryer ovale, le wolffie de Colombie, le dryoptéride de Goldie et le carex faux-rubanier. Le territoire abrite aussi vraisemblablement d’autres espèces fauniques à statut précaire comme la couleuvre brune et la couleuvre tachetée.

C’est en raison des caractéristiques exceptionnelles de ce milieu que l'arrondissement de L’Île-Bizard─Sainte-Geneviève et la Direction des grands parcs et du verdissement de la Ville de Montréal travaillent à un projet de protection des milieux naturels et de mise en valeur de l'activité agricole, lequel pourrait conduire à l’attribution du statut de paysage humanisé.

Sources :
Paroisse Saint-Raphaël-Archange de l’Île Bizard
Société patrimoine et histoire de l’Île Bizard et Sainte-Geneviève
Ville de Montréal, février 2010. Contexte du projet de paysage humanisé pour l’ouest de l’île Bizard.
Figure 1 : BEAUREGARD, Ludger (1984) Géographie historique des côtes de l’île de Montréal. Cahiers de géographie de Québec, vol. 28, nos 73-74, p. 47-62.