Capsules

Bilan des dix ans de la Politique du patrimoine

La Ville de Montréal s’est dotée d’une Politique du patrimoine en 2005. Son objectif est d’organiser et d’orienter son action et celle de ses partenaires afin de favoriser le développement d’une vision collective et d’une responsabilité partagée du patrimoine montréalais, tout en en faisant un levier de développement culturel, social et économique. Cela constitue un jalon significatif pour la protection du patrimoine montréalais. Cette Politique a fait l’objet de bilans en 2007, 2008 et 2010. Son dixième anniversaire coïncide avec les cinquante ans du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), célébrés dans le cadre de la Journée internationale des monuments et des sites (18 avril 2015). Le Conseil du patrimoine de Montréal (CPM) désire profiter de cette occasion pour jeter un regard sur le chemin parcouru depuis cette adoption et réfléchir aux enjeux à venir.

Retour sur la Politique

Ville de Montréal, <em>Politique du patrimoine</em>, mai 2005.Agrandir l'image

En 2005, la Politique élargit la notion de patrimoine à Montréal, longtemps confinée à celle de patrimoine bâti, pour englober toutes les facettes du patrimoine telles que définies par l’UNESCO1 . Plus précisément, elle vise à mettre en valeur tant le patrimoine naturel que le patrimoine culturel matériel (bâti, archéologique, paysager, archivistique et mobilier, ce dernier englobant les collections municipales et les objets archéologiques, de même que l’art public) et le patrimoine culturel immatériel (créations, connaissances, pratiques, arts et traditions populaires)2. À bien des égards, la Ville a innové en cette matière, en élargissant la notion de patrimoine plusieurs années avant la Loi sur le patrimoine culturel adoptée en 2011 (en vigueur en 2012) par le Gouvernement du Québec.

Avec cette Politique, la Ville propose en outre un changement dans ses propres façons de travailler en se donnant un devoir d’exemplarité à titre de propriétaire et de gestionnaire. Quant à l'avenir, la Politique induit un certain changement de perspective dans la notion de responsabilité, en favorisant un travail en concertation et en partenariat avec différents acteurs. Le Bureau du patrimoine, de la toponymie et de l’expertise (aujourd’hui la Division du patrimoine), également mis sur pied en 2005, joue un rôle central en matière de patrimoine. Sa création a notamment renforcé l’intégration de la dimension patrimoniale à la planification urbaine . L’équipe de cette unité administrative travaille de concert avec les professionnels des services municipaux centraux et des arrondissements ainsi qu’avec plusieurs partenaires, dans l’esprit du travail multidisciplinaire favorisé par la Politique.

Les bons coups

La Politique du patrimoine a permis plusieurs avancées notables en matière de patrimoine à Montréal. Parmi les nombreuses réalisations qui en découlent, nous soulignons ici les plus importantes en dressant un portrait partiel du chemin parcouru depuis son adoption.

Site du patrimoine de l’île Sainte-Hélène
<br>Crédit : © Parc Jean-Drapeau, Denis LabineAgrandir l'image

Une des conséquences de la Politique est la reprise du processus d’attribution de statuts, soit la citation de biens en vertu de l’ancienne Loi sur les biens culturels (1972)3, ce qui a permis, entre 2007 et 2010, la citation de huit bâtiments à titre de monuments historiques et la citation de deux sites du patrimoine, soit ceux de l’île Sainte-Hélène et du Square-Dorchester-et-de-la-Place-du-Canada.

Le processus d’évaluation de l’intérêt patrimonial des lieux est aussi un élément important découlant de la Politique. Ce processus est obligatoire dans les cas où la décision relative à des territoires ou immeubles reconnus pour leur valeur patrimoniale en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel relève du conseil municipal4. Il repose sur un groupe de travail réunissant l’ensemble des parties intéressées et implique une analyse de la documentation de base, une visite du lieu et une démarche de consensus pour en déterminer les valeurs et les caractéristiques.

En vertu du devoir d’exemplarité que s’est donné la Ville envers ses propriétés, entre 2005 et 2010, plus d’une vingtaine de projets de restauration ou de mise en valeur de biens patrimoniaux municipaux ont été réalisés, parmi lesquels ceux de plusieurs anciennes maisons de ferme, de l’arsenal du fort de l’île Sainte-Hélène et du théâtre d’Outremont. La mise au défi de la Ville comme propriétaire et gestionnaire exemplaire a aussi permis la mise en place de mesures concertées pour la conservation et la mise en valeur du mont Royal5, dont l’adoption d’un Plan de protection et de mise en valeur en 2008, un outil tenant compte de l’élargissement de la notion de patrimoine pour englober notamment la notion de paysage.

Plusieurs outils de diffusion sur le Web ont été mis sur pied par la Division du patrimoine, dont le Répertoire toponymique et le site Parcours riverain. Ce dernier est directement issu de la Politique et du Plan d’urbanisme, dans lequel on a proposé en 2004 d’affirmer le caractère insulaire de Montréal et de mettre en valeur son parcours riverain, l'un des territoires montréalais justement reconnus dans la Politique du patrimoine pour sa forte valeur identitaire6.

Dans l’esprit de la Politique, les rôles des instances consultatives impliquées dans la prise de décision en matière de patrimoine ont été confirmés et précisés. En 2002, la Ville de Montréal mettait en place deux comités d’experts : le CPM, une instance consultative en patrimoine, et le Comité ad hoc d’architecture et d’urbanisme (CAU), dont le mandat concerne les projets d’architecture, d’aménagement et d’urbanisme. En 2012, le rôle des instances a été analysé et redéfini, ce qui a conduit le conseil municipal à doter le Comité ad hoc d’architecture et d’urbanisme d’un statut officiel, en le remplaçant par le Comité Jacques-Viger. Comme les deux instances étaient souvent appelées à examiner les mêmes projets, des modalités d’examen conjoint avec le CPM ont été établies, formant ainsi ce qu’on appelle le Comité mixte.

Site patrimonial du square Dorchester-et-de-la-Place-du-Canada<br>Crédits : © CHA-Claude Cormier et Associés, Sophie Beaudoin
Agrandir l'image

D'autre part, la Politique souligne l’importance des patrimoines archéologique et archivistique. L’archéologie devient une ressource pour la conception de projets. Bien qu’il reste beaucoup de travail à faire à ce niveau, plusieurs grands projets réalisés depuis 2005 témoignent de manière éloquente de la place faite à l’archéologie, dont les réaménagements de la place d’Armes et du square Dorchester-et-de-la-Place-du-Canada, de même que la mise en valeur du Champ-de-Mars. La reconnaissance du patrimoine archivistique de la Ville de Montréal est une autre conséquence de l’élargissement de la définition de patrimoine. Elle se traduit notamment par une diffusion accrue du service des archives, dont la mise en ligne de données libres et ouvertes.

Vers une révision de la Politique?

L’adoption en 2005 de la Politique du patrimoine constitue un jalon important dans la reconnaissance et la mise en valeur du patrimoine montréalais. Par ailleurs, depuis 2012, la Loi sur le patrimoine culturel accorde de nouveaux pouvoirs aux municipalités. Cela permet à la Ville de Montréal de citer des biens mobiliers (documents et objets) lui appartenant, des intérieurs d’immeubles, et d’identifier des personnages historiques décédés, des évènements, des lieux historiques ainsi que des éléments du patrimoine immatériel.

Ainsi, beaucoup de « bons coups » ont été réalisés en matière de protection et de mise en valeur du patrimoine à Montréal. Toutefois, dix ans plus tard, en regard du chemin parcouru, il serait utile de faire un bilan de la situation du patrimoine, puis de procéder à une révision afin de tenir compte des enjeux actuels et des nouveaux pouvoirs accordés par la loi. La réflexion pourrait également porter sur les mesures en place pour la protection des édifices patrimoniaux et sur le rôle des instances consultatives de la Ville, afin d’asseoir un processus de consultation qui puisse servir de manière plus systématique la protection du patrimoine montréalais.

Parallèlement, la révision de la Politique du patrimoine s’inscrit dans un contexte plus large de révision des outils de planification urbaine. Adopté en 2004, le Plan d’urbanisme est l’un des outils qui régissent l’encadrement des enjeux patrimoniaux à la Ville. Censé être revu prochainement, il devra correspondre au Schéma d’aménagement et de développement de l’agglomération de Montréal, qui établit les orientations pour les dix prochaines années en matière d’aménagement et de développement du territoire pour l'ensemble des municipalités de l'île de Montréal, en vigueur depuis peu. Le CPM et le Comité Jacques-Viger ont été amenés à coopérer à son élaboration en 2014 dans le cadre d'un Comité mixte. Le CPM souhaite maintenant participer au processus de révision du Plan d’urbanisme et de la Politique du patrimoine, comme cela a été le cas par le passé, afin d’apporter sa contribution aux réflexions sur la conservation et la mise en valeur du patrimoine montréalais.

Pour plus d'information

1 La notion de patrimoine de l’UNESCO a été bonifiée notamment par l’adoption de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2003 (en vigueur en 2006), qui élargit la notion de patrimoine aux pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire.
2 Pour une définition plus précise, consulter la Politique du patrimoine de Montréal, p. 33.
3 En vertu d’une modification à la loi en 1986.
4 Ces cas sont les suivants : les projets approuvés en vertu de l'article 89 de la Charte de la Ville de Montréal ou d’une modification du plan d’urbanisme qui concernent des territoires et immeubles disposant d'un statut patrimonial en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel ; les projets de démolition (partielle ou complète) d'un immeuble cité ou situé dans un site patrimonial cité. Un énoncé est également requis dans le cadre d'une démarche de citation d'un immeuble patrimonial.
5 Un des territoires stratégiques identifiés par la Politique du patrimoine.
6 Parmi lesquels le parcours riverain, le Vieux-Montréal, le mont Royal, le canal de Lachine, le Havre de Montréal et les îles Notre-Dame et Sainte-Hélène.