La rue Sainte-Catherine et ses intersections

De la rue De Bleury à l’avenue Papineau

Intersection des rues Bleury et Sainte-Catherine, 1921, VM98,SY,D1,P012.Dans ce segment se trouve le tronçon initial de la rue, tracé dès le XVIIIe siècle. Il est graduellement prolongé, à l’est de la rue Sanguinet, dans les premières décennies du siècle suivant. Dans les années 1840, la voie est presque entièrement construite entre les rues De Bleury et Panet. Le développement est freiné par le grand incendie de 1852 qui ravage de nombreuses maisons de la rue entre le boulevard Saint-Laurent et la rue Saint-Timothée. Dorénavant, un règlement municipal interdit la construction d’immeuble à parements de bois. La construction reprend et la voie est complètement occupée dans la décennie 1870. À partir de 1865, le tramway hippomobile parcourt ce segment de la rue Sainte-Catherine.

Vers un quartier bourgeois francophone

Les activités manufacturières, qui caractérisent la portion est du segment précédent, s’étendent à l’est de la rue De Bleury. L’un des carrefours les plus achalandés de la ville, à l’intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine, ouvre sur une portion de la voie qui est occupée par des ateliers et des boutiques.

La rue Sainte-Catherine vers l'est, à partir de la rue Sanguinet, 1914, VM98,SY,D2,P015.Entre les rues De Bleury et Sanguinet, la rue Sainte-Catherine traverse une zone de transition entre deux quartiers bourgeois. Des institutions desservant une population variée s’installent, dont l’Académie du Sacré-Cœur (1873-1888), à l’angle de la rue De Bleury, et l’école Saint-Laurent (devenue Académie Sainte-Catherine) (1865-1911), près de la rue Saint-Urbain. En retrait de la rue, l’Académie du Plateau (1875) abrite aussi le siège social de la Commission des Écoles catholiques (CECM). L’Institut Nazareth pour les aveugles est implanté, entre les rues Jeanne-Mance et Saint-Urbain, de 1861 à 1932; l’immeuble est ensuite occupé par l’orphelinat Les Buissonnets (devenu Institut Dominique-Savio). Puis, à l’angle de la rue Cadieux (devenue De Bullion), l’église presbytérienne St. John’s est inaugurée en 1896. La société de secours mutuel de l’Union Saint-Joseph (1851-1909) s’installe à l’angle de la rue Sainte-Élisabeth dès 1856.

L’intersection des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine est au cœur du quartier bourgeois francophone. On y trouve l’église Saint-Jacques, un temps cathédrale catholique, présente depuis 1825 et reconstruite en 1857 et 1860, la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes (1876) et l’immeuble principal de l’Université Laval à Montréal (1895) (devenue Université de Montréal). À l’est, entre les rues Berri et Saint-Hubert, le complexe des sœurs de la Providence occupe un vaste terrain. En 1842, la fondatrice de la communauté, Émilie Gamelin, y installe l’asile de la Providence dans une maison à l’angle de la rue Saint-Hubert. De nombreuses autres constructions s’y greffent par la suite. À partir des années 1920, le quartier est peu à peu abandonné par la bourgeoisie francophone qui s’installe principalement dans Outremont. Le déménagement de l’Université de Montréal, en 1943, témoigne également de cette désaffection.

Une rue commerçante francophone

Le magasin Dupuis Frères et sa façade de 1937, 1962, VM94,A27-004.Dès les années 1870, des commerçants s’installent rue Sainte-Catherine, à l’est de la rue Saint-Denis. En 1868, Nazaire Dupuis ouvre un premier magasin de nouveautés, à l’angle de la rue Montcalm, qu’il déménage deux ans plus tard à l’intersection de la rue Amherst. En 1882, Dupuis Frères s’installe à son emplacement définitif entre les rues Saint-Christophe et Saint-André. Des agrandissements successifs permettent ensuite d’en faire un véritable grand magasin qui dessert principalement la clientèle francophone et qui polarise le commerce de détail dans l’Est de la ville. Une vaste annexe est construite en 1923, la façade est refaite en 1937 et le magasin demeure en activité jusqu’en 1978. Celui de son concurrent, A. Pilon, n’a qu’une brève existence dans les années 1870.

En 1880, le magasin de nouveautés Letendre & Arsenault (devenu Letendre & Fils), aussi connu sous le nom d’Au Bon Marché, s’établit près de la rue Wolfe. Il prend de l’expansion avec les années et déménage, en 1913, à l’angle de la rue Montcalm. Il cesse ses activités en 1927. En 1909, le marchand E. Z. Leblanc déménage son magasin de nouveautés de la rue Notre-Dame à la rue Sainte-Catherine, près de la rue Wolfe. Deux magasins canadiens-français se succèdent à l’intersection de la rue Montcalm: la Maison Labonté et la Maison Vallières. Grâce au tramway, les établissements de ce secteur attirent une clientèle francophone issue des quatre coins de la ville.

De nombreux magasins spécialisés complètent l’offre commerciale dans ce secteur. En 1896, associé avec le marchand d’orgues et de pianos J. A. Hurteau, Edmond Archambault ouvre un comptoir de musique en feuille à l’intersection de la rue Saint-Hubert et le déménage trois ans plus tard à l’angle de la rue Saint-Denis. En 1929, il fait construire un immeuble de six étages au coin de la rue Berri. Le magasin Omere DeSerres, 2004, VM94,0407200900.Le détaillant de meubles Valiquette, le fourreur Desjardins, le chapelier Henri Henri et le quincaillier Omer de Serres font également partie du groupe. Outre ces établissements dirigés par des entrepreneurs canadiens-français, ceux qui appartiennent à des Canadiens anglais et des Juifs prennent une part de plus en plus importante à partir des années 1920. La Maison Sainte-Catherine, de Louis Yanofsky, et les succursales de grandes chaînes, tels Woodhouse, F.W. Woolworth, People’s et Teco s’installent à cette époque.

Tout au long du segment, on retrouve des immeubles polyvalents occupés par des magasins au rez-de-chaussée. À l’ouest, près de la rue De Bleury, une concentration de bâtiments logent des manufactures aux étages supérieurs. Plusieurs de ces immeubles sont construits dans les rues adjacentes. Rue Sainte-Catherine, l’édifice Blumenthal, haut de sept étages, est érigé en 1911 à l’angle de la rue De Bleury. À son ouverture, il est occupé par le magasin du même nom. Les autres étages sont loués à des grossistes et des manufacturiers. En 1912, l’édifice de sept étages du marchand de vêtements Kellert est construit à l’intersection de la rue Saint-Urbain. Il abrite son magasin au rez-de-chaussée et des manufactures au-dessus. Près du boulevard Saint-Laurent, on retrouve une concentration de bâtiments occupés par des magasins et des ateliers. À l’angle du boulevard, l’édifice Paquette est construit en 1919. Le drapier Charles Laforce installe son magasin et son atelier à l’intersection de la rue Saint-Dominique en 1936. Plus à l’est, l’édifice du fabricant de savon J. Barsalou & Cie est érigé en 1888 à proximité de la rue Maisonneuve (devenue Alexandre-De Sève). La production est déménagée ailleurs, un peu avant la Première Guerre mondiale.

Publicité du journal La Patrie, vers 1945, VM6-R3153-2 (182-415E).D’autres immeubles abritent des bureaux. L’édifice La Patrie (1906) regroupe les bureaux et les presses du journal (1879-1978) jusque dans les années 1960. L’édifice Dandurand, construit en 1912, est le premier immeuble d’une hauteur de dix étages à l’est du boulevard Saint-Laurent. Ce bâtiment exprime la volonté du promoteur U.H. Dandurand de faire de cette partie de la rue Sainte-Catherine le centre-ville francophone. L’édifice de la Pharmacie de Montréal (1934) témoigne de la réussite de l’entreprise canadienne-française. Des immeubles abritant diverses fonctions se retrouvent également dans ce segment. L’édifice Labelle (1910), à l’angle de l’avenue de l’Hôtel-de-Ville, est à la fois occupé par un bureau de poste, des manufactures de vêtements et des bureaux. Les édifices Amherst (1925) et Gauvin (1911) rassemblent plusieurs activités, dont des magasins, des bureaux, des ateliers et des cinémas.

La rue Sainte-Catherine: lieu de divertissement

Plusieurs salles de spectacles et cabarets ouvrent leurs portes, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, d’abord aux environs du boulevard Saint-Laurent, puis plus loin vers l’est. Dans cette partie de la voie, les divertissements s’adressent surtout à la majorité francophone, à l’exception du Théâtre Français (1884, angle Saint-Dominique), qui présente des spectacles en anglais. Après plusieurs changements de noms, celui-ci devient le Metropolis en 1986. En 1900, le Théâtre National Français ouvre ses portes entre les rues Montcalm et Beaudry. Il s’agit du premier théâtre professionnel francophone.

Façade du Ouimetoscope, 1906, VM6, R3153-2 (1204E).Abandonné au début des années 1960, le lieu change de vocations à plusieurs reprises, puis redevient une salle de spectacle en 1997. Desservant le même public, on retrouve à proximité le Nationoscope (devenu Théâtre Canadien Français) (1907) et le Ouimetoscope (1906), premier cinéma permanent au Canada, qui s’installe à l’angle de la rue Montcalm. Près de la rue Amherst, le Théâtre Moulin Rouge est construit en 1917 et détruit en 1924: sur son emplacement, on construit l’édifice Amherst dans lequel on intègre le cinéma Amherst (1926). Cette intersection est également occupée par le théâtre Electra (1913) qui est détruit durant les années 1990. Plus à l’ouest, le théâtre Nickel installé à l’angle de la rue De Bleury en 1907 devient le Tivoli en 1912; il est détruit par un incendie en 1923. Vie intérieure du Ouimetoscope, 1906, VM6, R3153-2 (1204E).Au coin de la rue Saint-Urbain, le Gayety (1912) offre divers genres de spectacles: du music-hall, du vaudeville et du burlesque. Il change de vocation et de nom à de nombreuses reprises. En 1953, il est relancé par Gratien Gélinas qui y installe la troupe de la Comédie-Canadienne. De l’autre côté de la rue, Henri Tranquille installe sa librairie en 1948 et en fait un important pôle d’attraction du milieu culturel dans l’après-guerre.

L’intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine constitue le pivot du quartier du Red Light.Déjà animé à la fin du XIXe siècle, ce secteur gagne en popularité avec la prohibition dans les années 1920 et 1930. Des clubs de jazz - tels le Blue Sky, le Casa Loma, le Hollywood, le Jazz Hot, le Shanghai et le Vic’s – accrochent leurs enseignes lumineuses. De nombreux musiciens américains s’y produisent. Un établissement célèbre, successivement nommé le Frolics, le Connie’s Inn, puis le Montmartre, anime aussi les nuits de Montréal. En outre, les activités illicites où se mêlent les débits de boissons, le jeu et la prostitution valent à Montréal le qualificatif de «ville ouverte». Spectacle musical dans l'un des clubs montréalais, 1964, VM94, S1-006.Ce secteur est fortement touché dans les années 1950 par la campagne de moralité publique menée par l’avocat Pacifique Plante et le maire Jean Drapeau.

Plus à l’est, une vie culturelle et sociale s’articule autour du Quartier latin. Quelques restaurateurs profitent de la présence universitaire et de l’achalandage général pour s’installer rue Sainte-Catherine, notamment le café Ayotte (1891-1905) et Chez Geracimo (1899-1965) qui ouvrent dès la fin du XIXe siècle. Le Cordon Bleu s’installe vers la fin des années 1920. Le Café Saint-Jacques (1925-1973) devient une véritable institution pour les chanteurs et les musiciens francophones. Plus à l’est, il y a des salles de danse, tels le Cartier Ballroom, le St. André Ballroom, le Moonlight Gardens et le Vienna Grill.

Les années 1960 et de nouveaux pôles d’attraction

Au cours des années 1960, la rue Sainte-Catherine subit d’importants changements. La lutte à la corruption de la décennie précédente et la concurrence des centres commerciaux ont un effet dévastateur et provoquent la fermeture de nombreux établissements. En 1966, l’ouverture des stations de métro - Place-des-Arts, Saint-Laurent, Berri-De Montigny (devenue Berri-UQÀM), Beaudry et Papineau - facilite l’accès à la voie et l’adoption du sens unique vers l’est favorise une meilleure circulation. De nombreuses constructions, dont plusieurs impliquent des démolitions, transforment ce segment par la conversion et l’expansion des terrains en bordure de la rue. L’addition la plus imposante est celle du Complexe Desjardins, inauguré en 1976. Cet ensemble phare est un lieu important de l’animation urbaine avec son basilaire. De plus, ses quatre tours accueillent des bureaux et un hôtel. Les réalisations et les projets touchant ce secteur témoignent de la volonté du maire Jean Drapeau d’étendre le centre-ville vers l’est.

Foule réunie à l'inauguration de la Place des Arts, 21 septembre 1963, VM94, A118-07.Auparavant, on a commencé à aménager un pôle dédié aux arts entre les rues Jeanne-Mance et Saint-Urbain. Des bâtiments anciens, souvent en mauvais état, sont démolis pour permettre la réorganisation de ce quadrilatère, notamment les Buissonnets (anciennement Institut Nazareth), l’Académie du Plateau et l’immeuble Keller. Un ensemble culturel y est construit en plusieurs étapes. La Place des Arts et sa Grande Salle (devenue Wilfrid-Pelletier) sont inaugurées en 1963. En 1967, les salles Maisonneuve et Port-Royal (devenue Théâtre Jean-Duceppe) ouvrent leurs portes, le Théâtre du Café de la Place (devenu studio-théâtre) est ajouté en 1978. En 1992, la Cinquième salle est jointe au complexe ainsi que le Musée d’art contemporain. En 2009, une nouvelle salle de concerts est mise en chantier sur le site de la Place des Arts.

De biais avec ce vaste complexe, l’immeuble de la Comédie-Canadienne (l’ancien Gayety) est acquis en 1972 par le Théâtre du Nouveau Monde qui, vingt-cinq ans plus tard, y apporte des rénovations substantielles. Plus à l’ouest, le Spectrum présente, pendant un quart de siècle, des spectacles de chanteurs et de musiciens avant de fermer ses portes en 2007. L’Astral, installé dans l’ancien immeuble industriel Blumenthal, devenu Maison du jazz, prend en partie la relève. D’autres spectacles sont présentés au Métropolis à compter de 1987. Ainsi, autour du pôle de la Place des Arts, la rue Sainte-Catherine abrite divers lieux de création et de diffusion.

Le Quartier des spectacles, 2009, VM94, 0909091200.De plus, de nombreux festivals et événements culturels sont présentés dans la rue et sur l’esplanade de la Place des Arts. La renommée du Festival International de Jazz de Montréal (1980) attire les foules dans ce secteur depuis 1986. Les Francofolies de Montréal (1989), installées en 1994, ajoutent à l’animation des lieux durant l’été. À partir de l’an 2000, le Festival Montréal en lumière occupe ce secteur quelques jours durant l’hiver. Le développement, au début du XXIe siècle, du Quartier des spectacles, dont le cœur est la rue Sainte-Catherine, renforce ce pôle artistique.

L’ancien Quartier Latin recouvre sa vocation institutionnelle avec l’installation de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Ouverte dix ans auparavant, l’université s’installe rue Sainte-Catherine en 1979, avec l’inauguration des pavillons Hubert-Aquin et Judith-Jasmin. Ce dernier intègre le clocher et la façade du transept sud de l’ancienne cathédrale Saint-Jacques. D’autres composantes de l’université sont construites le long de la rue Sainte-Catherine: les pavillons de l’École des sciences de la gestion (1992), de Design (1996) et J. A. DeSève (1999). La présence des étudiants est particulièrement marquée sur la rue Saint-Denis où on retrouve, à proximité, le Cégep du Vieux-Montréal (1972).

La Place Dupuis, 2005, VM94, 0507111300.L’installation du métro et de la station centrale d’autobus, boulevard De Maisonneuve, crée un potentiel de développement qui n’a jamais été complètement réalisé. L’îlot qui abritait le dispensaire, la chapelle, l’infirmerie, le couvent et le noviciat des Sœurs de la Providence est démoli en 1963 pour permettre la construction de la station de métro Berri-De Montigny. Le maire Jean Drapeau rêvait d’y faire ériger une grande tour de bureaux. Le terrain sert ensuite de stationnement pour devenir, en 1992, une place publique (place Émilie-Gamelin). Au cours des années 1970, Dupuis Frères transforme son espace en Place Dupuis avec l’érection de deux tours de bureaux et d’une autre pou loger un hôtel. Le grand magasin doit malgré tout fermer ses portes en 1978 et est remplacé par des boutiques.

Plus à l’est, la rue Sainte-Catherine fait partie du projet de la Cité des Ondes qui est concrétisé autour de l’avenue Papineau. Ce secteur, aménagé à la fin des années 1960, polarise des entreprises de radio, de cinéma et de télévision. La constitution de ce quartier est renforcée par l’installation de Télé-Métropole (1961), rue Maisonneuve (devenue Alexandre-DeSève), de Radio-Québec (1968; devenu Télé-Québec), à l’angle de la rue Fullum, et par la construction de la Maison de Radio-Canada (1973), boulevard René-Lévesque. La réalisation de ce projet d’envergure entraîne la démolition de milliers de logements ouvriers. Plusieurs autres entreprises de l’audio-visuel se greffent à cette Cité des Ondes qui contribue à transformer le quartier environnant.

Défilé de la Fierté, 2009, VM94, 0908161330.Une population homosexuelle s’étant aussi installée dans les environs, un espace animé, bientôt connu sous le vocable de Village gai, prend forme le long de la rue Sainte-Catherine, entre les rues Saint-Hubert et Papineau, à partir des années 1980. Lieux de spectacles, bars branchés et restaurants s’y multiplient. À compter de 2008, cette portion de la rue devient piétonne pendant l’été, ce qui en accroît l’achalandage.

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