De l’avenue des Pins à l’avenue du Mont-Royal
Ce segment est acquis par la
Ville en 1873 pour faciliter l’accès au parc du Mont-Royal, dont la création
marque une étape significative dans le développement des parcs à Montréal. En
1860, un début de déboisement de la montagne suscite l’inquiétude dans l’opinion
publique et la Ville s’intéresse davantage à cet espace de plus de 200 hectares.
Elle en fait l’expropriation en 1869 et, en 1874, fait appel au grand architecte
paysagiste américain Frederick Law Olmsted (1822-1903) pour l’aménager.
Majestueux, le parc est inauguré en 1876. Il est borné au nord par les deux
grands cimetières, Notre-Dame-des-Neiges et du Mont-Royal, à l’est par l’avenue
de l’Esplanade, au sud par les terrains donnant sur les avenues des Pins et
Cedar et à l’ouest par les terrains bordant le chemin de la Côte-des-Neiges. Le
plan d’Olmsted n’est que partiellement réalisé, mais le chemin carrossable qu’il
trace déroule ses lacets jusqu’au sommet et est accessible par l’avenue du Parc.
La douceur et la régularité de la pente facilitent la montée des piétons et des
calèches ; il traverse de hautes futaies et aboutit à l’observatoire (1906,
reconstruit en 1932), en passant par le lac aux Castors (1932) et son pavillon
moderniste (1958).
Le mont Royal exerce une fascination sur les Montréalais et est souvent
investi d’une forte charge identitaire. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit
présent dans la mémoire des divers groupes qui composent la population de la
ville et qu’il ait fait, à certains moments, l’enjeu de rivalités pour son
appropriation symbolique.
Ainsi en est-il pour cette partie du parc située à l’est de l’avenue et
connue sous deux noms distincts : Fletcher’s Field et parc Jeanne-Mance. Au
XIXe siècle, les cartes font état du Fletcher’s Field, traduit
quelquefois de façon erronée par «ferme Fletcher». Il constitue un lieu de
loisir et de mémoire important pour la communauté anglophone et la communauté
juive. Le romancier Mordecai Richler (1931-2001) en a d’ailleurs immortalisé le
nom dans ses romans, notamment avec son Fletcher’s Field High School. Depuis le
Congrès eucharistique de Montréal (1910) qui tient d’importantes manifestations
à cet endroit, les francophones utilisent plutôt le toponyme « parc Jeanne-Mance
», officialisé seulement en 1990.
Dans la partie nord-est du parc,
des deux côtés de l’avenue du Mont-Royal, se tient à chaque année l’Exposition
provinciale, entre 1879 et 1896. La compagnie qui l’organise y construit des
installations permanentes, détruites par un incendie en 1896. Par la suite, on y
installe des terrains de jeux et de sport.
À l’ouest de l’avenue du Parc, le terrain sert un temps de champ de manœuvres
militaires. Le Royal Montreal Golf Club, le plus ancien club de golf d’Amérique
du Nord, y exploite un parcours entre 1873 et 1896. Entre 1885 et 1919, un
funiculaire part du pied de la pente, dans l’axe de l’avenue Duluth, et permet
d’atteindre rapidement l’observatoire.
Au XXe siècle, l’avenue du Parc est aussi une voie de
commémoration. Des défilés la parcourent, comme au retour des troupes après la
Première Guerre mondiale ou encore lors des funérailles de Sir Arthur William
Currie (1875-1933), commandant du Corps expéditionnaire canadien en Europe, puis
recteur de l’Université McGill. En 1913, on pose la première pierre d’un
monument commémorant le centième anniversaire de la naissance de George-Étienne
Cartier (1814-1873), mais le dévoilement de la statue est reporté à cause de la
guerre. Le monument est finalement
inauguré en grande pompe en 1919, pour célébrer à la fois Cartier, la
Confédération, l’Empire britannique victorieux et la royauté. Pour l’occasion,
le roi George V, qui ne peut être présent, officie à distance, appuyant sur un
bouton électrique depuis son château de Balmoral en Écosse pour actionner un
mécanisme qui dévoile la statue. En outre, deux autres monuments plus petits
commémorent la royauté : le jubilée d’argent de George V en 1935 et le
couronnement de George VI en 1937. En 1953, un long défilé, qui attire des
milliers de Montréalais, souligne le couronnement de la reine Élizabeth II.
En 1924, la Société Saint-Jean-Baptiste inaugure au sommet du mont Royal le
monument de la Croix, qui domine le paysage montréalais et devient un repère
géographique aussi bien qu’identitaire. Le parc sert pendant quelques années
pour les feux de la Saint-Jean-Baptiste et est le théâtre de fêtes mémorables
dans les années 1970. Vers la fin du XXe siècle, le monument de Cartier connaît
une nouvelle animation : des séances de tam-tam y attirent une foule
bigarrée tous les dimanches d’été. Par ailleurs, le parc du Mont-Royal est
utilisé par les Montréalais de toutes origines comme lieu de loisir et de
sport.
Le long de cette partie de
l’avenue du Parc, on ne trouve que deux édifices : celui de l’ancienne
centrale d’alarme des pompiers (1931), devenu le Quartier-général du Service de
la prévention des incendies de la Ville de Montréal, et celui de l’ancien
terminus du «tramway de la montagne». On construit en 1927 une voie de tramway
qui rejoint le sommet à partir de l’intersection de l’avenue du Mont-Royal et
qui facilite l’accès de la population de l’est de Montréal au mont Royal. La
ligne est désaffectée en 1957 et l’emprise de ses rails sert de base à la voie
Camillien-Houde, ouverte en 1958.
Plusieurs des lignes de tramways qui desservent l’avenue du Parc contournent
le mont Royal pour atteindre Outremont, Côte-des-Neiges, Snowdon, Cartierville,
ou encore se poursuivent plus au nord, jusqu’à la gare Jean-Talon, d’où on peut
prendre une correspondance pour atteindre Ville Mont-Royal ou Ville
Saint-Laurent. La circulation automobile y est également très dense, si
bien qu’en 1931, la Ville double la largeur de l’avenue et installe des voies de
tramway au milieu. Des circuits d’autobus, dont les lignes 80 et 129,
remplacent les tramways en 1958.
À cette hauteur, l’avenue du Parc traverse les anciens quartiers Saint-Louis
et Saint-André. Depuis 2002, elle marque la limite entre les arrondissements de
Ville-Marie (à l’est) et du Plateau-Mont-Royal (à l’ouest). Elle fait également
partie de l’arrondissement historique et naturel du
Mont-Royal.