La rue Notre-Dame Est comme chemin à barrière (1840-1911)
Du centre de la vieille ville à l’extrémité est de l’île, la rue Notre-Dame Est, connue alors sous le nom de chemin du Roy, devient en 1840 une route à péage régie par le Montreal Turnpike Trust (plus tard la Commission des chemins à barrière).
Ce système de gestion des routes est instauré sur la recommandation de l’inspecteur des chemins de la ville qui, en raison du mauvais état des routes aux abords du centre, suggère dès le début du 19e siècle de les transformer en chemins à péage. Les profits ainsi engendrés permettront d’assurer la qualité de leur construction et de leur entretien. Contrairement à cette méthode de privatisation, où les usagers paient pour le maintien en bonne condition des chemins, le système de corvées qui a prévalu jusqu’alors stipule qu’il revient aux propriétaires terriens d’entretenir la section de chemin qui passe sur leur terre, qu’ils en soient ou non les utilisateurs principaux. Avec la mise en place du nouveau système, ce ne sont plus les grands voyers qui gèrent les routes à péage mais le Montreal Turnpike Trust, créé en 1840, et ses syndics. Les chemins à péage sont donc d’une qualité supérieure aux autres chemins.
Agrandir Grille tarifaire de la Montreal Turnpike Trust, 1897 Source : Les lois et ordonnances des syndics des chemins à barrières de Montréal (extrait), Archives de la Ville de Montréal, XCD00, P5512
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Le chemin du Roy, parmi les voies les plus fréquentées, devient en 1840 l’une des premières routes à péage de l’île. Une barrière et une maison de péage marquant le début du chemin sont installées à la limite est de la ville de Montréal, alors située à la rue Frontenac. Tout comme les autres routes à péage, le chemin du Roy est macadamisé sur 18 pieds de largeur (environ 5,5 m) avec 9 pouces de pierre concassée. Une petite section de la route sert à l’essai de la technique de construction en madrier (plank road). Toutefois, cette technique s’avère coûteuse et la section est refaite en macadam entre 1849 et 1853.
Selon les Lois et ordonnances des syndics des chemins à barrières, les péages perçus pour « aller et venir entre minuit d’un jour et minuit du jour suivant, avec le même cheval ou les mêmes chevaux […] ou la même voiture » sont fixés selon le type de véhicule, l’attelage, la charge portée et la largeur des roues — les tarifs des roues étroites sont en effet plus élevés puisque ce sont celles qui endommagent le plus la route. Par exemple, selon la tarification de 1897, un carrosse à quatre roues et à deux chevaux coûte 25 cents pour des roues de moins de 2¼ pouces, 20 cents pour des roues entre 2¼ et 3 pouces et 15 cents pour des roues de plus de 3 pouces. Des prix différents sont établis pour les véhicules d’hiver (carriole, traîneau) tirés par un ou deux chevaux, les troupeaux de moutons, les bêtes à corne, les charrettes à deux roues et à quatre roues, de même que pour les diligences. Les propriétaires d’une diligence peuvent acheter un abonnement afin d’exempter leurs passagers. Un tableau des tarifs est affiché à chaque barrière, où une maison de péage est habituellement construite pour loger le percepteur.
Agrandir Habitants fuyant le poste de péage, 1897 Source : Cornelius Krieghoff, Bibliothèque et Archives Canada, C-011223
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Durant les premières années, la résistance au péage est très grande et peut se manifester par le refus de payer, le contournement des barrières ou même l’intimidation. En 1846, le percepteur de la barrière de Pointe-aux-Trembles se sent si menacé que les syndics lui paient un garde du corps. Afin d’empêcher les gens de contourner les péages, on impose une amende de 10 chelins aux personnes qui utilisent un détour pour éviter les frais. Des pénalités sont aussi prévues pour les propriétaires qui permettent que l’on passe sur leur terrain pour esquiver la barrière.
En 1882, l’ensemble du chemin depuis la vieille ville jusqu’à l’extrémité est de l’île prend le nom de rue Notre-Dame. Au fil de l’annexion des municipalités voisines de Montréal, la barrière est déplacée aux nouvelles limites municipales. Ainsi, lors de l’annexion de la ville d’Hochelaga (1883), la barrière de la rue Frontenac est relocalisée à la rue Valois, à la frontière avec la ville de Maisonneuve. Six ans plus tard, cette dernière paie une redevance au Montreal Turnpike Trust afin que les péages ne soient pas perçus à l’entrée de son territoire. On déménage donc la barrière à la limite est de la ville de Maisonneuve, soit la 1re Avenue (devenue la rue Viau).
Agrandir Habitants en charrette au village de Pointe-aux-Trembles, s.d. Source : Collection de cartes postales, BAnQ, 0002634318
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Le régime des chemins à barrière disparaît de l’île de Montréal en deux temps. En 1911, la ville de Montréal paie une redevance au Montreal Turnpike Trust pour que les barrières à péage soient retirées du territoire des municipalités récemment annexées. La partie du chemin qui traverse l’ancienne municipalité de Longue-Pointe, annexée en 1910, est donc cédée par le Montreal Turnpike Trust à la Ville de Montréal. En 1913, les syndics des chemins à barrière cèdent à la ville de Pointe-aux-Trembles les péages sur son territoire, de même que la responsabilité du chemin. La rue Notre-Dame cesse alors d’être un chemin à péage. Le système comme tel est aboli en 1922 par le gouvernement provincial, quand la responsabilité des routes est transférée au gouvernement du Québec et aux municipalités. Le Montreal Turpike Trust cesse donc dès lors ses activités.
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Pour en savoir plus
Ouvrages généraux et monographies
LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération. Montréal, Boréal, 1992, 627 p.
NOPPEN, Luc. Du chemin du Roy à la rue Notre-Dame : mémoires et destins d’un axe est-ouest à Montréal. Québec, Ministère des Transports, 2001, 175 p.
ROBERT, Jean-Claude. Atlas historique de Montréal. Montréal, Art Global/Libre Expression, 1994, 167 p.
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Articles
ROBERT, Jean-Claude. « Réseau routier et développement urbain dans l’île de Montréal au XIXe siècle », dans Horacio CAPEL et Paul-André LINTEAU, dir., Barcelona/Montréal : desarrollo urbano comparado, développement urbain comparé, Barcelone, Publicacions de la Universitat de Barcelona, 1998, p. 99-115.
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Documents électroniques et sites Web