Territoire riverain : Canal de Lachine

Le territoire du parcours riverain du canal de Lachine est délimité à l’ouest par la 6e avenue dans l’arrondissement de Lachine et à l’est par l’autoroute Bonaventure. Il s’étend ainsi tout le long du canal de Lachine, porte d'entrée d'un réseau de canaux de navigation reliant, peu à peu à partir de 1825, l'océan Atlantique à l’intérieur du continent nord-américain. L’architecture de ses rives est marquée par de grandes usines en briques bâties aux 19e et 20ee siècles par des entreprises comme Merchants Manufacturing Company (Dominion Textile), Imperial Tobacco, Montreal Rolling Mills (Stelco), Canadian Car and Foundry, Dominion Bridge ou Crane Ltd.

Le secteur compris entre les écluses Saint-Gabriel et le bassin Peel est considéré comme le berceau de l’industrialisation du Canada, ce qui en fait la destination patrimoniale de ce territoire riverain. À la suite du premier élargissement du canal de Lachine entre 1843 et 1848, les aménagements de trois sites le long de ses berges, permet d’utiliser l’énergie hydraulique comme force motrice. En amont des écluses Saint-Gabriel, ce surplus d’eau est redirigé pour actionner les roues ou les turbines hydrauliques, situées sous les complexes industriels, assurant ainsi le fonctionnement des machines. Ces installations (roue ou turbine, coursiers d’alimentation, canal de fuite) constituent un attrait important pour des entreprises qui cherchent à mécaniser leurs procédés de fabrication à grande échelle.

La construction du canal

Plan du futur canal de Lachine, vers 1820 Agrandir Plan du futur canal de Lachine, vers 1820
Source : John Samuel McCord.
Musée McCord, Montréal, M3587.1-2

Dès la fin du 17esiècle, les sulpiciens entreprennent la construction d’un canal de navigation entre Montréal et Lachine, afin de contourner les rapides sur le fleuve. Après trois tentatives, seule la partie du côté est, appelée canal Saint-Gabriel, est complétée; elle va de la rivière Saint-Pierre à la pointe à Callière en passant sur la ferme des sulpiciens. La partie entre le lac Saint-Louis et la rivière Saint-Pierre demeure inachevée. Le projet de canal finira par reprendre vie grâce à un ensemble de conditions favorables. En effet, la construction du canal Érié amorcée en 1817 laisse craindre le déplacement du commerce des Grands Lacs vers New York. Des marchands montréalais se regroupent alors pour contrecarrer le projet et fonder la société The Company of the Proprietors of the Lachine Canal en 1819, en vue de construire un canal entre Montréal et Lachine. La compagnie n’arrive toutefois pas à remplir ses obligations, ce qui amène le gouvernement du Bas-Canada à prendre le relais en 1821. Les administrateurs coloniaux y voient d’ailleurs, après la guerre anglo-américaine de 1812, un moyen d’améliorer les lignes de communication entre le Bas et le Haut-Canada. Finalement, le canal de Lachine est inauguré le 24 août 1824 et la navigation s'amorce l’année suivante, après la fonte des glaces qui en bloquaient l’utilisation.

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La concurrence avec les États-Unis

Élargissement du canal de Lachine. Travaux aux écluses Saint-Gabriel, 1877 Agrandir Élargissement du canal de Lachine. Travaux aux écluses Saint-Gabriel, 1877
Source : Canadian Illustrated News, 1877,
BAnQ IDB3002724107

Entre 1823 et 1825, les États-Unis terminent la construction de deux canaux reliant le fleuve Hudson, au lac Champlain (97 km) d’une part et au lac Érié (584 km) d’autre part. À Montréal, à la même époque, les embarcations en route vers le Haut-Canada franchissent les 15,5 kilomètres du canal de Lachine chargées de produits importés. Elles redescendent vers Montréal chargées de blé, de potasse et de divers produits alimentaires. Cependant, cette route navigable est marquée de nombreuses ruptures de charges entre Montréal et Kingston. Ces arrêts obligatoires pour le transfert des marchandises d’un type de bateau à un autre diminuent l’efficacité du commerce dans la colonie britannique. Pour certains produits, les négociants et marchands du Haut-Canada vont préférer la route américaine passant par l’État de New York, au détriment de l’économie montréalaise.

Afin que Montréal conserve son influence sur le trafic continental, les parlementaires canadiens financent des travaux en vue de faciliter la navigation au-delà du canal de Lachine. La construction de plusieurs canaux et écluses permet de compléter la route du Saint-Laurent et d’accroître l’efficacité du transport entre Montréal et Kingston. C’est dans ce contexte que s’amorce l’élargissement du canal de Lachine en 1843, rendant possible le trafic de plus gros navires. Dès lors, la voie du Saint-Laurent pourra réellement rivaliser avec le canal Érié.

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L'essor industriel

Ville de Montréal, 1888 Agrandir Ville de Montréal, 1888
Source : Musée McCord, Montréal, M4824

Après 1848, la nouvelle configuration du canal de Lachine prévoit notamment l’aménagement de lots hydrauliques, des terrains sous lesquels sont installés des coursiers d’alimentation, des roues et des turbines hydrauliques. Une mise aux enchères des terrains et des privilèges d’utilisation de l’énergie hydraulique a lieu le 23 novembre 1846 à l’intention des entreprises qui souhaitent utiliser la force motrice de l’eau et s’installer le long du bassin no 2. En remportant l’enchère, les détenteurs de baux hydrauliques accèdent à une source d’énergie puissante, fiable et bon marché leur permettant de mécaniser la fabrication de leurs produits. Dès les années 1840, des industries s’installent sur ce site hydraulique, puis, à compter des années 1850, sur les terrains limitrophes aux écluses Saint-Gabriel et de Côte Saint-Paul. La présence de ces établissements industriels fait en sorte que de plus en plus de travailleurs élisent domicile à proximité, ce qui entraîne l’émergence de quartiers ouvriers en périphérie des usines.

Avec la création de la compagnie ferroviaire du Grand Tronc en 1852 et l’inauguration du pont Victoria en 1860, cette époque des premiers développements industriels autour du canal correspond également à la naissance de l’industrie ferroviaire au Canada. Un véritable réseau ferroviaire capillaire se structure alors pour permettre aux trains de transporter les matières premières et assurer la circulation des marchandises entre l’usine et le port. Peu à peu, une importante partie des échanges commerciaux se déplacent vers les chemins de fer et Montréal devient au milieu du 19esiècle la plaque tournante du réseau de transport canadien.

Sur l’île de Montréal, la route, le rail et la navigation forment des réseaux imbriqués qui stimulent l’essor industriel durant la seconde partie du 19e siècle et le début du 20e siècle. Le paysage urbain autour du canal de Lachine est modifié par l’émergence de grands complexes industriels comme ceux de la Merchants Manufacturing (1882), la Canada Malting (1901), la Mount Royal Spinning Company (1908) ou bien celui de la Crane (1919). Tous les secteurs de l’économie montréalaise (commerce, fabrication et finance), de même que l’aménagement urbain, profitent du développement industriel autour du canal de Lachine.

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Déclin et renaissance

À la fin du 19esiècle, dans ce contexte de progrès industriel et commercial, l’augmentation de la capacité du canal assure l’accroissement du trafic et l’essor du port de Montréal. À son apogée, à l’aube de la crise de 1929, le canal voit défiler près de 15 000 navires par année, et les entreprises établies sur son pourtour emploient près de 25 000 travailleurs. Bientôt prisonnier de la grande densité urbaine qu’il a engendrée, le canal ne suffit plus à l’augmentation toujours croissante du transport fluvial, ce qui mènera le 25 avril 1959, à l’ouverture à la navigation de l’écluse de Saint-Lambert de la voie maritime du Saint-Laurent pour contourner les rapides de Lachine. Le 26 juin 1959, la reine Élizabeth II, le président américain Dwight D. Eisenhower et le premier ministre canadien John G. Diefenbaker amorcent les cérémonies officielles d’inauguration à bord du yacht royal Britannia.

À partir de ce moment, le canal de Lachine n’est plus utilisé comme point de passage vers l’intérieur du continent et dessert de moins en moins d’usines. Son embouchure près du port de Montréal est remblayée en 1967; trois ans plus tard, le 30 novembre 1970, il est complètement fermé à la navigation. En 1978, le canal de Lachine passe aux mains de Parcs Canada qui entreprendra sa restauration et sa mise en valeur patrimoniale de 1997 à 2002. Le 17 mai de cette même année, le projet de revitalisation culmine avec la réouverture du canal à la navigation, de plaisance cette fois. Citadins, touristes et plaisanciers découvrent aujourd’hui ce canal urbain qui préserve la mémoire du développement industriel au Canada et des transformations sociales issues des luttes ouvrières et de l’urbanisation de Montréal.

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Pour en savoir plus

Ouvrages généraux et monographies

DESLOGES, Yvon et Alain GELLY. Le canal de Lachine. Du tumulte des flots à l’essor industriel et urbain 1860-1950. Sillery, Septentrion, 2002, 204 p.

FOUGERES, Dany (dir.). Histoire de Montréal et de sa région. Tome 1 : des origines à 1930. Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, pages 488-534.

LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération. Montréal, Boréal, 1992, 627 p.

ROBERT, Jean-Claude. Atlas historique de Montréal, Art Global/Libre Expression, 1994, 167 p.

Documents électroniques et sites Web

MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS, Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Canal de Lachine, [en ligne].

UNIVERSITÉ CONCORDIA, CHAIRE DE RECHERCHE DU CANADA EN HISTOIRE ORALE, Canal, [en ligne].

VILLE DE MONTRÉAL, Grand répertoire du patrimoine bâti de Montréal, Canal de Lachine, [en ligne].