Une histoire intimement liée aux rapides
Au début du XVIIe siècle, les missionnaires français empruntent la rivière
des Prairies pour accéder à l’Outaouais et au pays des Hurons. En 1625, le
récollet Nicolas Viel et son compagnon, sunommé Ahuntsic par les Hurons, se
noient dans ses rapides, événement à l’origine du nom de Sault-au-Récollet.
En 1696, ce site est retenu par les Messieurs de Saint-Sulpice, seigneurs de
l’île de Montréal, pour y déplacer la mission amérindienne du
Fort-de-la-Montagne. Les Amérindiens convertis au catholicisme s’installent à
proximité et cultivent les champs environnants.
Entre 1724 et 1726, les
Sulpiciens font construire une digue entre l’île de la Visitation et l’île de
Montréal. Dès 1728, on y compte trois moulins alimentés par les rapides.
L'énergie hydraulique permet de constituer le plus important complexe industriel
de la région. En 1736, le peuplement des campagnes environnantes suscite la
création de la paroisse de la Visitation-du-Sault-au-Récollet. Succédant à la
petite chapelle de fort Lorette, une église est inaugurée en 1751 (agrandie en
1850-1852). Elle sera classée monument historique par le gouvernement du Québec
en 1974 et une aire de protection sera déterminée par décret ministériel l’année
suivante.
Au cours du XIXe siècle, le petit village agricole isolé sur le bord de la
rivière des Prairies, le Sault-au-Récollet, est en pleine expansion. Ses moulins
en font un centre de services pour les campagnes avoisinantes. La paroisse du
Sault-au-Récollet comprend un immense territoire incluant les zones actuelles de
Villeray, Saint-Léonard et Ahuntsic. Des parties s'en détachent peu à peu au
cours de la deuxième moitié du siècle.
Au XXe siècle, l’urbanisation de l’île de Montréal transforme ce milieu rural
en lieu de villégiature, puis en municipalité de banlieue et en quartier urbain.
Érigé en municipalité de village en 1910, le Sault-au-Récollet acquiert le
statut de ville en 1914, avant d’être annexé à Montréal deux ans plus tard.
Après la Première Guerre mondiale, des bâtiments sont insérés dans le tissu
villageois. En 1928, la construction du barrage Walker et de la centrale
électrique de Rivière-des-Prairies fait disparaître les rapides, altère la
configuration des îles et entraîne l’artificialisation des berges. Le barrage
inonde les îlots Hibou et Sergent.
Le parc-nature de l’Île-de-la-Visitation est inauguré en 1983 et la Ville de
Montréal constitue le site du patrimoine de
l’Ancien-Village-du-Sault-au-Récollet en 1992. Ce site au patrimoine très
diversifié comprend une partie du parc-nature, dont l'île de la Visitation,
rattachée à la terre ferme par le barrage Walker et la digue des Moulins. Il
englobe également l’ancien village du Sault-au-Récollet, un cimetière paroissial
aménagé dans les années 1870 et des éléments reflétant les diverses utilisations
du territoire, notamment les vestiges du complexe industriel de la digue des
Moulins.
Il compte près de 300 édifices construits entre le XVIIIe siècle et
la fin du XXe siècle, deux églises et deux complexes conventuels. On y
trouve aussi une quinzaine de sites archéologiques d’identité euro-québécoise,
un site amérindien et trois biens culturels classés : l’église du
Sault-au-Récollet, la maison du Pressoir et la maison
Saint-Joseph-du-Sault-au-Récollet (aujourd’hui un bâtiment du Collège
Mont-Saint-Louis).
Un complexe industriel d’envergure
Le site des Moulins se
compose principalement d’une digue en pierre et en béton de plus de
100 mètres de long, ponctuée par les vestiges d’anciens moulins et d’usines
du XIXe siècle et du début du suivant. Il comprend aussi la maison du Meunier,
parfois appelée maison Oberlander ou Moulin du Sault-au-Récollet, un bâtiment de
deux étages érigé en 1801 à l’entrée de la digue sur l’île de Montréal.
Cette maison est construite en remplacement d’un premier moulin à farine en
fonction depuis 1728. Au fil des ans, des bâtiments industriels finissent par
former une enfilade sur la digue. À partir des années 1830, la digue, qui a subi
des travaux d’exhaussement, sert également de voie d’accès entre l’île de la
Visitation et la rive montréalaise. En 1837, les Sulpiciens, craignant
l'abolition du régime seigneurial (effective en 1854), vendent plusieurs de
leurs moulins de la seigneurie de Montréal. La digue des Moulins est ainsi cédée
à un homme d’affaires, Pascal Persillier, dit Lachapelle fils (1806-1853). À la
suite d’un incendie survenu en 1846, celui-ci fait construire un imposant moulin
à farine. D’autres turbines sont installées dans la digue au cours du dernier
quart du XIXe siècle afin de répondre aux besoins énergétiques de la production
de papier et de carton-cuir.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, de nombreuses constructions (moulin à farine,
à scie, à papier, à clous, etc.) se succèdent sur la digue, souvent pour
remplacer des moulins endommagés ou désuets. Le site est vendu à la Dominion
Leather Board en 1890, à la Back River Company en 1906 et enfin à la Milmount
Fibreboards Limited en 1950. Des activités industrielles y ont cours jusqu’en
1977.
La Ville de Montréal devient propriétaire de la digue en 1981. Les moulins et
les usines sont alors détruits pour des raisons de sécurité publique. Seule la
maison du Meunier est conservée. C’est en 1998 que la firme d’architecture et
design urbain Daoust Lestage réalise l’aménagement actuel de la digue, mettant
en valeur les vestiges industriels. Ces vestiges font aujourd’hui l’objet d’un
programme d’interprétation piloté par l’organisme Cité Historia, lequel gère le
musée d’histoire du Sault-au-Récollet et le Bistro des Moulins, tous deux situés
dans la maison du Meunier. Ils appartiennent à un ensemble remarquable, tant par
sa situation que par son histoire, qui permet de profiter pleinement du
patrimoine culturel de l’eau au quotidien, hiver comme été.