Le boulevard Monk
Par Stéphanie Lacroix
Naissance et évolution de la voie
Le tracé du boulevard Monk apparaît pour la première fois sur une carte de
1907. À l’époque, la voie traverse le Village du Boulevard Saint-Paul
(1902-1908). La Compagnie des terrains de la banlieue de Montréal cède la voie
le 12 juin 1905. Elle est alors limitée au nord par la rue Saint-Patrick et au
sud par le canal de l’Aqueduc. Après la construction du pont Monk (2002), le nom
de boulevard Monk est attribué au tronçon (auparavant rue Philippe-Turcot) qui
rejoint la rue Notre-Dame Ouest. Avant 1911, la voie porte les noms de boulevard
Saint-Paul et d’avenue Davidson. Le toponyme Monk honore une grande famille
anglophone dont plusieurs membres ont occupé des fonctions politiques et
juridiques importantes au Canada. L’un d’eux, Frederick Debartzch Monk
(1856-1914), est l’un des principaux associés de la Compagnie des terrains de la
banlieue de Montréal. De la rue Notre-Dame Ouest au boulevard De La Vérendrye,
le boulevard Monk traverse le quartier Ville-Émard dans l’arrondissement du
Sud-Ouest. La courte étendue de la voie justifie sa présentation dans un seul
segment.
De Côte Saint-Paul à Ville-Émard
Depuis le début du XVIIIe siècle, le territoire fait partie de la côte
Saint-Paul et reste longtemps rural. À partir de la deuxième moitié du XIXe
siècle, après l’élargissement du canal de Lachine, des promoteurs remarquent le
potentiel industriel du secteur et tentent de le développer. En 1878, la partie
ouest du Village de la Côte-Saint-Paul (1875-1897) en est détaché pour former la
municipalité de la Paroisse de Côte-Saint-Paul, puis, en 1902, elle prend le nom
de Village du Boulevard Saint-Paul. En 1899, Frederick Debartzch Monk, Joseph
Ulric Émard et d’autres associés achètent la terre de W.B. Davidson, délimitée
par la rue Saint-Patrick au nord, le canal de l’Aqueduc au sud, l’avenue Ryan
(devenue rue Briand) à l’est et la rue Beaulieu à l’ouest, et en font le
lotissement. Le Village du Boulevard Saint-Paul devient Ville Émard en 1908,
mais, compte tenu des coûts importants de son expansion, la jeune municipalité
s’annexe à Montréal deux ans plus tard. Le boulevard Monk se développe
graduellement, du nord au sud, au cours de la première moitié du XXe siècle.
La vie de quartier
Entre 1910 et 1925, le boulevard Monk devient la principale artère
commerciale du quartier, et les magasins se concentrent surtout entre les rues
Jacques-Hertel et Springland. Dans les années 1960, un ralentissement général se
fait sentir et, vers 1968, certains marchands se regroupent dans une
organisation nommée Plaza-Monk pour faire la promotion de la rue comme
destination commerciale. De plus, la Ville embellit la voie et en améliore
l’accès : lampadaires particuliers, arbres, fleurs et nouveau terrain de
stationnement. Cette volonté de gérer le développement commercial du boulevard
se confirme dans les années 1980 quand la Plaza-Monk adhère au programme des
Sociétés d’initiative de développement des artères commerciales, devenant ainsi
la SDC-Monk. Celle-ci subventionne, par exemple, une étude sur l’impact de
l’arrivée du centre commercial Carrefour Angrignon (1986). En 2007,
l’autorisation d’aménager des terrasses améliore l’ambiance du boulevard et
montre la détermination des commerçants à le dynamiser.
Économie et population
Dans la première décennie du XXe siècle, un petit noyau institutionnel se
développe. Une chapelle de bois (1906), située à l’emplacement de l’actuel
presbytère, et l’hôtel de ville de Ville Émard (1910) sont construits. Ce
dernier abrite également un poste de pompiers et de police. Lebâtiment est
reconstruit en 1962, et le poste de police ferme ses portes en 1978. La
construction de l’église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours s’étend entre 1913 et
1939 en raison d’un manque de fonds et de conflits entre les syndics. En face,
l’école de Lévis pour garçons est construite en 1928 ; en 1975, elle devient le
Centre d’orientation et de formation des immigrants Maurice-Lefebvre, puis, en
2001, une résidence pour personnes âgées. Le parc Garneau longe le boulevard ;
un monument y est élevé en l’honneur des soldats morts lors des guerres du XXe
siècle. De la fin des années 1910 au début des années 1950, la voie est
desservie par un tramway. Depuis, différents trajets d’autobus et la station de
métro Monk (1978) y assurent le transport en commun.
L’élargissement du canal de Lachine (1846) et la construction des écluses de
Côte-Saint-Paul favorisent la venue d’industries, de commerces et de résidences
dans la partie nord du secteur dans la seconde moitié du XIXe siècle. Par
contre, au sud, les abords du canal de l’Aqueduc se développent plutôt selon un
modèle de banlieue résidentielle. Entre les rues Saint-Patrick et Allard,
l’occupation est mixte, les logements étant situés aux étages supérieurs des
bâtiments commerciaux. De plus, trois résidences pour personnes retraitées se
distinguent par leur hauteur. Au sud de la rue Allard, les maisons de brique de
deux ou trois étages à toits plats et pourvus d’escaliers extérieurs voisinent
les cottages à l’architecture caractéristique de la Wartime Housing Limited,
construits en 1947, et les immeubles d’appartements érigés dans les dernières
décennies du XXe siècle.
Le profil des résidants du boulevard Monk, surtout des ouvriers et des
manœuvres, change peu dans la première moitié du XXe siècle. Dès sa création, la
voie accueille une majorité de francophones et seules quelques familles
d’origine britannique sont dispersées sur le boulevard. Après 1950, la
proportion d’anglophones augmente légèrement et quelques immigrants arrivent,
surtout des Italiens et des Polonais, mais les francophones restent
majoritaires. À partir de ce moment, la composition sociale se diversifie et la
proportion d’administrateurs et de professionnels augmente, surtout après 1970.
Dans les années 1990, dans les quartiers Ville-Émard et Côte-Saint-Paul, près du
cinquième de la population est âgée de plus de 65 ans, ce qui représente un des
taux les plus élevés du Québec. Vers la fin de la décennie, le boulevard Monk
compte environ 550 ménages.
Société et culture
Longtemps, la vie sociale s’articule autour de la paroisse
Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours. Des célébrations entourent, par exemple, le 21e
Congrès eucharistique de 1910 et les différents anniversaires de la paroisse
sont l’occasion de rassemblements, comme des pique-niques. Des organismes comme
la Société Saint-Jean-Baptiste regroupent les paroissiens. Au milieu du XXe
siècle, le curé Vianney Savaria marque la paroisse par son engagement social.
Des habitations pour personnes retraitées, construites sur le boulevard au début
des années 1980, perpétuent son souvenir en portant son nom. La vie culturelle
est principalement polarisée par la bibliothèque (1963) et la Maison de la
culture Marie-Uguay (1982), nommée d’après une poétesse du quartier. Cet
organisme fait la promotion des artistes locaux et organise des expositions, des
conférences et des concerts. La SDC-Monk contribue, par des ventes-trottoirs,
des concours, des défilés et des spectacles à créer une vie sociale active sur
le boulevard. D’autres organismes comme la section canadienne d’Amnistie
Internationale, l’Auberge communautaire du Sud-Ouest et les bureaux de
l’éco-quartier Saint-Paul / Émard y ont pignon sur rue.
Le boulevard Monk se situe entre deux voies d’eau artificielles qui
influencent fortement son développement. Le caractère industriel du canal de
Lachine explique l'occupation mixte de la partie nord de la voie, tandis que le
canal de l'Aqueduc offre un cadre plus propice à une zone résidentielle. Au XXe
siècle, le boulevard Monk est marqué par le dynamisme des commerçants qui en
renouvellent l’image. Constituant le cœur du quartier Ville-Émard, cette artère
se distingue par ce processus constant de modernisation. À ce titre, le pont
Monk assure une meilleure circulation automobile dans le secteur et constitue un
élément important du projet de revitalisation de l’axe du canal de Lachine. La
réouverture à la navigation de plaisance et la création du parc linéaire et de
la piste cyclable profitent à tous les secteurs qui côtoient le
canal.