Rue Saint-Laurent
Le boulevard Saint-Laurent et ses intersections

De la rue Bernard à la rue De Castelnau

Dans ce segment, le chemin Saint-Laurent (1717) est administré depuis 1840 par la Commission des chemins à barrières. Celle-ci cède la voie à la Ville de Saint-Louis en 1904. Dans l’axe de l’avenue Van Horne, la voie ferrée du Quebec, Montreal, Ottawa & Occidental (acheté du Gouvernement du Québec par le Canadien Pacifique en 1882) est construite au milieu des années 1870 et marque profondément le paysage urbain.

À l’origine, cette voie relie le pont de Bordeaux (1876) à Hochelaga, mais le Canadien Pacifique la prolonge dès le début des années 1880, de manière à rejoindre ses autres lignes dans l’ouest de l’île. Très rapidement, ce chemin de fer ceinture la ville et devient un axe important qui dessert le port de Montréal, les ateliers Angus, les cours de triage Viger, Saint-Louis et Outremont, puis celles de Sortin et de la Côte Saint-Luc. Bientôt, de nombreuses entreprises industrielles s’y installent de part et d’autre, formant un véritable corridor manufacturier. À partir de la fin du XXe siècle, le départ des entreprises et le redéveloppement résidentiel donnent lieu à des projets divers, dont celui de la transformer en ceinture verte, mais son importance dans la circulation ferroviaire sur l’île se maintient.

La voie ferrée coupe en deux le territoire du village de Saint-Louis-du-Mile-End (1878), constitué en Ville de Saint-Louis en 1895, qui forme un vaste rectangle allant de l'avenue du Mont-Royal à la rue Rolette (devenue De Castelnau) et dont le boulevard Saint-Laurent est l'axe central. Saint-Louis est annexée à la Ville de Montréal en 1909, devenant le quartier Laurier.

De 1876 à 1930, une gare est située sur la rue Bernard, dans l’axe de la rue Saint-Dominique. Elle ferme avec l’ouverture de la gare Jean-Talon. Pendant près d’un siècle, un hôtel occupe le coin nord-est de l’intersection de la rue Bernard; transformé en taverne, l’immeuble est démoli durant les années 1980. Au coin de l’avenue Van Horne, s’élève depuis 1924 l’entrepôt de la St. Lawrence Warehousing.

La construction d’un pont ferroviaire, entre 1908 et 1913, permet de désenclaver la circulation vers la partie nord de la Ville de Saint-Louis. Plus tard, durant les années 1960, un nouveau viaduc chevauche les voies ferrées et le boulevard Saint-Laurent et raccorde l’avenue Van Horne au boulevard Rosemont, facilitant la circulation est-ouest.

Jusqu’à la rue Beaubien, les lots le long du boulevard sont développés avant la Première Guerre mondiale. Ainsi, les habitations s’étendent progressivement vers le nord, entrecoupées de terrains vagues. En 1949, les bâtiments forment une ligne continue jusqu’à la rue De Castelnau.

Dès le début du XXe siècle, des immigrants Italiens, d'origine paysanne, s'installent aux confins du développement urbain, au nord de la voie du Canadien Pacifique. Ils choisissent le Mile End pour profiter des loyers plus modiques et de lopins de terre disponibles pour y aménager de petits potagers. Beaucoup travaillent à proximité, dans les installations du Canadien Pacifique. Témoin de l’importance de cet afflux de population, l'archevêque de Montréal crée, dès 1910, la paroisse Notre-Dame de la Défense (Madonna della Difesa), dont l'église actuelle est construite en 1918-1919 à l'angle des rues Dante et Henri-Julien.

Après la Deuxième Guerre mondiale, une deuxième vague d’immigration, beaucoup plus nombreuse que la précédente, vient renforcer l'allure de quartier italien de tout le territoire environnant, d'où le nom de Petite Italie. Les magasins s'y multiplient rapidement le long du boulevard Saint-Laurent, renforçant son rôle de rue principale de la communauté italienne. Ce sont surtout des commerces de proximité, comme des épiceries, quincailleries, merceries, magasins de meubles ou de musique. Dans l’après-guerre, les Italiens représentent les deux tiers de la population de la voie, le reste étant formé de Canadiens français.

Tout comme les Juifs l’ont fait plus au sud, les Italiens quittent graduellement le quartier. À partir des années 1960, ils migrent vers l'est, dans l'axe de la rue Jean-Talon jusqu'à Saint-Léonard, puis vers le quartier de Rivière-des-Prairies. Vers la fin du XXe siècle, plusieurs commerces de proximité disparaissent. Restent de nombreux établissements qui s'identifient aux produits italiens et dont la clientèle devient métropolitaine. La multiplication des restaurants et cafés italiens attire ainsi les Montréalais de toutes les origines. Dans la foulée, l’association des marchands obtient de la Ville l’implantation d’un mobilier urbain distinctif, en particulier des arches décoratives.

À l’angle de la rue Saint-Zotique, le noyau de la paroisse de Saint-Jean-de-la-Croix dessert principalement la population d'origine canadienne-française. Il est formé de l’église du même nom (bâtie en 1926-1927 sur un soubassement construit en 1911) et de l’école Marie-Anne (1918-1974, anciennement l'Académie Sainte-Anne, Marie-Anne, puis Saint-Jean-de-la-Croix). Fondée en 1900, la paroisse disparaît en 2001 et l’église est convertie en copropriétés résidentielles en 2004. Au fil du développement démographique, on assiste à l’installation de plusieurs lieux de culte d’autres confessions, à l’image de la diversification de la population, dont l’église chrétienne haïtienne de Dieu Réparateur des Brèches et l’église pentecôtiste des Apôtres de Jésus-Christ, au nord de la rue Beaubien.

Au départ, cette partie du boulevard est dominée par la présence de plusieurs résidences, surtout des duplex et triplex de brique. Puis, les rez-de-chaussée des maisons laissent peu à peu place à des magasins et services, puisque durant la deuxième moitié du XXe siècle, la fonction commerciale domine. La proximité de la voie ferrée attire également plusieurs manufactures et entrepôts, de même que des entreprises de pièces d’automobiles ou de plomberie. Au coin de la rue Bellechasse, l’entreprise Villanova, fondée en 1872 par Léonidas Villeneuve, maire (1896-1900) de la Ville de Saint-Louis, débite toujours quincaillerie et matériaux de construction. Au nord de la rue Beaubien, les résidences cohabitent avec les commerces de quartier, dont plusieurs ont des logements aux étages supérieurs. Le patrimoine bâti de cette section est plutôt éclectique : édifices commerciaux de brique ou de béton, de deux à trois étages, édifices industriels. Angle Saint-Zotique, le parc Martel devient le parc de la Petite-Italie en 1998.

Au sud de la rue Jean-Talon, la petite rue Shamrock donne accès au terrain de crosse utilisé, du milieu des années 1890 jusqu'en 1931, par le club Shamrock (1867), associé à la communauté irlandaise. Le sport de la crosse, longtemps considéré comme l’un des deux sports nationaux canadiens avec le hockey, est en déclin dans les premières décennies du XXe siècle, ce qui entraîne la fermeture du stade. En 1933, on y aménage le marché du Nord, devenu le marché Jean-Talon, fréquenté par les habitants des paroisses avoisinantes, dont nombre d’Italiens. Il survit à la vague de fermeture des marchés publics et connaît un regain de popularité dans les dernières décennies du XXe siècle, attirant une clientèle métropolitaine.

À partir de 1893, la ligne de tramway 55 du boulevard Saint-Laurent est prolongée de l'avenue du Mont-Royal jusqu’à la rue Isabeau (devenue Jean-Talon), mais ses voies empruntent la rue Saint-Dominique à partir de la rue Bellechasse. En 1927, elles sont installées sur le boulevard jusqu’à la rue Jean-Talon. En 1929, elles sont prolongées jusqu’au boulevard Crémazie pour atteindre les ateliers Youville. En 1952, le tramway est remplacé par l’autobus.

Depuis 2002, de la voie ferrée à la rue Jean-Talon, la rue fait partie de l’arrondissement de Rosemont–La-Petite-Patrie et, de la rue Jean-Talon au boulevard Crémazie, elle fait partie de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension.

Ce segment du boulevard Saint-Laurent est un véritable lieu de mémoire. Associé à la Petite Italie, sa vie sociale et culturelle en a été marquée profondément. Avec les deux segments précédents, il constitue le cœur du corridor d’immigration montréalais, qui a servi à l’intégration des nouveaux venus depuis plus de cent ans.

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