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La vie à Ville-Marie en 1642*

Après 10 ans de fouilles, le site archéologique de la pointe à Callière a livré presque tous ses secrets. Du moins pour ce qui est de la partie accessible aux archéologues et qui ne représente qu'une faible portion du site où Maisonneuve a érigé le fort Ville-Marie en 1642. L'emplacement de ce fort, qui constitue le lieu de fondation de Montréal, était recherché depuis les années 80 et a été repéré il y a cinq ans sous un édifice voisin du musée Pointe-à-Callière.

« C'est un site qui pose de nombreux défis pour les fouilles et pour l'interprétation », souligne Christian Bélanger, diplômé du Département d'anthropologie de l'Université de Montréal. L'archéologue présentait le bilan de ces 10 années de fouilles à un atelier du congrès commun de l'Association des archéologues du Québec et de l'Association canadienne d'archéologie, tenu en mai dernier.

Le principal défi rencontré par les archéologues est d'ordre physique: la surface d'occupation initiale se trouve à deux mètres sous la surface actuelle. Il faut donc creuser profondément, dans des endroits exigus, tout en prenant soin d'éviter d'ébranler les assises du bâtiment de quatre étages qui occupe les lieux.

Brad LowenFigure 1. Brad Lowen, responsable de l'École de fouilles archéologiques de Pointe-à-Callière, exhume une structure ayant fait partie du fort Ville-Marie.
Source : Journal Forum, Université de Montréal, 4 juin 2012.

Les archéologues ne disposent par ailleurs que de très peu d'information pour guider leurs travaux et interpréter les vestiges mis au jour. Il existe certains plans du fort, mais ils sont tous hypothétiques et ne coïncident pas entre eux. Le plus ancien date de 1647 et soulève de sérieux doutes quant aux lieux qui y sont représentés.

« On sait qu'il y avait une chapelle et un puits de bois creusé en 1658 sur la place d'Armes », précise Christian Bélanger. Ce puits a été retrouvé, ainsi que des assises de bâtiments en pierre et des sections de fosses où les pieux de la palissade ont été plantés.

Bas fourneaux

Deux murs de pierre massifs, avec des foyers à chacune des extrémités, intriguent les archéologues. Lorsque ces structures ont été découvertes, Brad Loewen, professeur au Département d'anthropologie et responsable de l'École de fouilles archéologiques de Pointe-à-Callière, a émis l'hypothèse qu'il s'agissait de bas fourneaux servant au travail des métaux.

Bien que ces fours ne semblent pas avoir de chambres closes de combustion, l'analyse des scories par scanographie, qu'a effectuée Geneviève Treyvaud à l'Université Laval, accrédite cette hypothèse.Selon la chercheuse, ces scories révèlent quatre types de traitement des métaux: réduction du minerai de fer, affinage du fer, réduction du minerai de cuivre et usage du borax comme fondant. Une pièce intrigante, principalement constituée d'oxyde de fer, contient des particules d'argent, d'or et de plomb, ce qui appuie l'idée qu'il y ait eu des essais métallurgiques.

Pour le professeur Loewen, ces résultats sont une agréable surprise. « On ne s'attendait pas à découvrir des indices de travail sur des métaux précieux », a-t-il déclaré.

L'histoire des lieux

Une prucheraieFigure 2. Une prucheraie telle qu’on pouvait observer aux alentours de Ville-Marie avant l’arrivée des Européens.
Source : Grands parcs, Ville de Montréal, 2011.

Si les plans précis du fort demeurent un mystère, l'occupation du site est en revanche bien documentée. On connait même, grâce aux analyses de pollen réalisées par Daniel Landry, étudiant au Département d'anthropologie, quel était le couvert végétal des alentours. Avant l'arrivée des Européens, une prucheraie avec prairies et hêtres couvraient les lieux. Autour de 1600, les prairies se sont étendues et, vers 1630, les arbres disparaissent sur la pointe pour laisser place... au maïs.

On sait aussi que le site a été fréquenté bien avant la construction du fort Ville-Marie, peut-être par des commerçants dès les années 1600. Des vestiges antérieurs au fort ont d'ailleurs été exhumés. Huit ans après que le fort eut été bâti, la population qui y était hébergée avait doublé et il fallut alors occuper la rive nord de la rivière Saint-Pierre.

À partir de 1660, seul le gouverneur résidait au fort. Au début des années 1670, le fort est en mauvais état et sert de prison. Il est démoli en 1675 et ses matériaux sont réutilisés pour de nouveaux bâtiments, dont l'ancienne église Notre-Dame érigée là où se trouve l'actuelle place d'Armes. Comme cette période est également celle de la construction du séminaire des Sulpiciens, Brad Loewen croit que des pierres du fort de Maisonneuve sont possiblement entrées dans l'édification du séminaire.

Entre 1675 et 1688, date de l'acquisition du terrain par le gouverneur de Montréal, Louis Hector de Callière, le site semble avoir été inoccupé et figure comme terrain vague sur les cartes de l'époque. «C'était une période d'intense activité de traite des fourrures et le site a changé de vocation plutôt que d'avoir été laissé à l'abandon», estime Justine Bourguignon-Tétreault, étudiante à la maitrise au Département d'anthropologie.

Les strates de sol correspondant à cette période contiennent en effet quantité de restes alimentaires, cendres de foyer et pièces de céramique amérindienne et européenne qui témoignent, à son avis, d'une occupation amérindienne des lieux. Les provenances variées des artéfacts, dont des pointes de flèche taillées dans du cuivre et du silex européens, montrent en outre qu'il n'y a pas de rupture brusque entre les époques préhistorique et historique, mais plutôt une transition marquée par l'interculturalité.

L'École de fouilles archéologiques de Pointe-à-Callière n'en a plus que pour un an. Au terme de cette 11e année, la totalité de la zone accessible, qui ne représenterait que trois pour cent du fort de Maisonneuve, aura été explorée.

Daniel Baril

* Cet article est tiré du Journal Forum de l’Université de Montréal, édition du 4 juin 2012.

Sources :
www.nouvelles.umontreal.ca