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Le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles

14 juin 2021

Fondé en 1968, le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles est depuis au cœur de la vie communautaire du quartier.

Au début des années 1960, des groupes de citoyens se mobilisent dans les quartiers ouvriers de Montréal pour faire valoir leurs droits. À partir de 1968, plusieurs comités se politisent : ils se transforment en groupes populaires qui veulent modifier la société de façon plus globale. L’éducation populaire autonome connaît alors un essor important. Cette démarche d’apprentissage vise à outiller les adultes pour qu’ils puissent mieux se prendre en charge, participer à la vie de la communauté et se conscientiser aux enjeux des luttes sociales.

Les Centres d’éducation populaire à Montréal

Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles

Quatre hommes et quatre femmes sont assis autour d’une table carrée sur laquelle se trouvent des feuilles de papier et des crayons.
Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles
Entre 1968 et 1976, six centres d’éducation populaire voient le jour à Montréal. Ils sont créés dans des quartiers ouvriers de la ville, avec la contribution de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CÉCM) qui leur fournit un bâtiment puis, éventuellement, une subvention annuelle de base. L’objectif des centres d’éducation populaire n’est pas de donner accès à un grade universitaire ou à un autre diplôme, mais d’outiller les gens et d’être des lieux éducatifs et communautaires de proximité. L’admission y est inconditionnelle.

Ces centres répondent à des besoins qui ne sont pas pris en compte par le système scolaire, ils permettent par exemple de créer des liens de solidarité, de briser l’isolement des adultes exclus ou marginalisés et de les accompagner pour qu’ils trouvent collectivement des solutions à leurs problèmes. Ils travaillent avec des organismes au sein de chaque quartier et veulent proposer une éducation qui permettra d’améliorer le système social. Pionnier à Montréal, le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles ouvre en 1968. Il est suivi par le Comité d’éducation aux adultes de la Petite-Bourgogne et de Saint-Henri, le Pavillon d’éducation communautaire d’Hochelaga-Maisonneuve, le comité social Centre-Sud, les Ateliers d’éducation populaire du Plateau et le Centre éducatif René-Goupil.

L’alphabétisation au centre des préoccupations

Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles 2

Quatre femmes sont assises et tricotent. Une table se trouve entre elles. On voit plusieurs de leurs réalisations dans la pièce derrière elles.
Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles
Le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles naît de l’initiative d’un groupe de personnes analphabètes du quartier. Apprenant à lire dans les mêmes livres que leurs enfants, et traitées comme des enfants, elles quittent l’école publique du soir où elles étaient inscrites à l’automne de 1967. En 1968, elles s’unissent et forment un groupe de citoyens, qui deviendra le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles. L’objectif de départ est de mettre sur pied une formation plus adaptée à des adultes, sans les infantiliser et en prenant en compte leurs autres besoins. Les premières activités se tiennent dans le sous-sol de l’église Saint-Charles. Le quartier Pointe-Saint-Charles compte alors un fort taux d’analphabétisme, et les besoins sont grands. Entre 1968 et 1972, une première expérience en alphabétisation est réalisée auprès d’environ 500 personnes. Le Carrefour part de la réalité quotidienne des adultes et s’éloigne de l’approche scolaire : par les activités proposées, il cherche dès les débuts à allier alphabétisation et conscientisation. Des gardiennes bénévoles offrent un service de halte-garderie aux femmes inscrites aux activités d’après-midi.

Dès 1969, d’autres activités (liées par exemple à l’alimentation, à la consommation et au logement) s’ajoutent à la « formation de base » (l’alphabétisation). Le Carrefour affirme que les besoins de base ne se limitent pas aux difficultés de lecture, d’écriture et de calcul. L’organisme est précurseur dans le domaine des technologies de l’information et il offre des formations assistées à l’ordinateur dès 1994 dans ses activités d’alphabétisation. Ces technologies sont aussi utilisées dans les actions de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

Une maison de quartier

Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles 3

Deux voitures circulent sur une rue. Une remorque est attachée à l’une d’elles. Des affiches sont placardées sur une voiture et sur la remorque. Un homme tient une affiche dans la remorque. Un homme et des enfants sont sur le trottoir.
Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles
L’action en éducation populaire du Carrefour s’étend dès 1969, et l’organisme devient en quelque sorte une « maison de quartier » lorsqu’il obtient une école désaffectée à l’automne 1970. C’est aussi à l’automne 1970 que le Carrefour s’engage dans l’inclusion et l’intégration des personnes ayant une déficience intellectuelle et pour le développement des compétences parentales. Le centre travaille aussi à lutter contre les différentes formes d’exclusion, il propose des actions pour œuvrer contre la pauvreté et favoriser la participation citoyenne. Il bénéficie entre autres à des personnes économiquement défavorisées, des personnes immigrantes, analphabètes, handicapées et de jeunes mères. Toutes ses activités sont gratuites.

En 2012, l’avenir des centres de formation populaire à Montréal semble incertain. À la suite de coupes budgétaires et devant la nécessité d’entretenir les bâtiments, la Commission scolaire de Montréal (qui a remplacé la CÉCM) annonce qu’elle ne pourra plus fournir les locaux aux six centres d’éducation populaire de Montréal. Grâce à l’ampleur des mobilisations, ces centres gagnent du temps, mais la situation demeure très fragile. À l’hiver 2017-2018, la Commission scolaire exige la signature d’un bail qui implique à terme que les centres payent pour les locaux, alors qu’ils ne reçoivent aucun financement pour un loyer. Comme il est hors de question que le centre coupe des activités et services offerts aux plus démunis, il recueille des appuis populaires et se mobilise sans relâche depuis. Malgré plusieurs promesses des gouvernements successifs, la situation des six centres demeure tout aussi incertaine depuis lors. En 2022, si rien n’est fait, ils risquent l’éviction faute de financement.

Merci à Nicolas Delisle-L’Heureux et à Serge Wagner d’avoir relu la première version de cet article et d’y avoir contribué.

Les luttes communautaires à Pointe-Saint-Charles

L’un des plus anciens quartiers ouvriers du Canada, Pointe-Saint-Charles connaît un important essor industriel au XIXe siècle. À la fin des années 1960, le quartier vit une période de déclin économique. D’autres mobilisations communautaires émergent au même moment que le Centre d’éducation populaire.

Parmi celles-ci, la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles est créée en 1968. Il s’agit de la première clinique de la sorte mise sur pied dans un quartier populaire de la province. Elle est fondée par des étudiants en médecine, en soins infirmiers et en sociologie de l’Université McGill, qui y impliquent rapidement des citoyens du quartier et s’inspirent du modèle des cliniques communautaires qui existent dans plusieurs quartiers défavorisés des États-Unis. Les gens du quartier peuvent y être soignés sans frais, et on intervient sur les causes des maladies, dans le but de les éradiquer. En 1970, la clinique obtient sa charte d’organisme communautaire. Lorsque les CLSC sont créés en 1974, elle obtient les mêmes subventions qu’eux, bien qu’elle soit reconnue comme un organisme communautaire autonome et qu’elle puisse conserver sa structure décisionnelle citoyenne. En 1970, les Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et de la Petite-Bourgogne offrent quant à eux des services juridiques sans frais à des citoyens laissés pour compte.

Références bibliographiques

BÉLANGER, Paul, Anouk BÉLANGER et David LABRIE-KLIS. La pertinence des Centres d’éducation populaire de Montréal, UQAM, 2014.
https://sac.uqam.ca/upload/files/Sommaire_de_la_recherche_CEP.pdf

BÉLANGER, Paul. « L’éducation populaire menacée », À bâbord!, no 50, été 2013.
https://www.ababord.org/L-education-populaire-menacee

BOURRET, Gisèle, et Chantal OUELLET. Six centres d’éducation populaire de Montréal : un bien commun. Rapport de recherche, Montréal, UQAM, 2006.
http://bv.cdeacf.ca/EA_PDF/135157.pdf

CENTRE DE FORMATION POPULAIRE. Une brève histoire de l’éducation populaire. Colloque du 15 et 16 novembre 2018, Montréal, 2019.

KLEIN, Juan-Luis, et Ping HUANG. « La lutte contre l’exclusion numérique et la revitalisation des collectivités locales : une étude de cas à Pointe-Saint-Charles, à Montréal », Nouvelles pratiques sociales, vol. 26, no 1, 2013, p. 84-101.
https://doi.org/10.7202/1024981ar

WAGNER, Serge, et Micheline LAPERRIÈRE. « L’alphabétisation à Pointe-Saint-Charles », International Review of Community Development / Revue internationale d’action communautaire, no 3, 1980, p. 127-143.
https://doi.org/10.7202/1034996ar